2 novembre 2003


Hamé (La Rumeur) interview / avril 2003

Le Ministère de l’Intérieure intente un procès contre le groupe de rap La Rumeur



Plus d’informations / lire et signer le texte d’appel de La Rumeur

L’historique de l’affaire.
Hamé : L’article mis en accusation est paru dans un magazine édité par notre maison de disque à but promotionnel, mais nous entendons nous saisir de toutes les tribunes à notre porté pour inoculer un certain virus.
Ça se passe durant la campagne présidentielle, juste avant les élections. L’idéologie sécuritaire, ce déferlement hystérique, repris par les médias, présent dans la bouche de tous les élus, de tous les prétendants au titre, est trop rependue. Le climat est à la criminalisation des quartiers populaires, de franges bien précises de la jeunesse avec tout ce que cela représente. C’est en réaction que j’ai écrit cet article qui s’intitule « Insécurité sous la plume d’un barbare », pour d’une certaine manière démasquer cette pensée qui ne date pas d’hier. Au XIXe siècle les idéologues bourgeois annonçaient classe laborieuse classe dangereuse, aujourd’hui ils parlent de quartiers dangereux.
Quartier dangereux ou quartier en danger ? C’est la question qui a amorcé cet article.
L’insécurité la plus dévastatrice, de mon point de vue, c’est l’insécurité sociale, économique, liée à des conditions de vie précaires, discrimination à l’embauche, l’instruction bâclée, au fait qu’une entreprise peut mettre 1000 personnes sur la paille avec la bénédiction des autorités. Cette insécurité était complètement absente des débats, pas par naïveté ou méconnaissance du problème, mais par réel but politique. Voilà, j’essaye, avec un peu d’ironie, de sarcasmes, de renverser la vapeur, de renverser les termes de l’insécurité. Les premiers à la vivre sont justement les quartiers populaires, dans la mesure où ils font partie des catégories de la population les plus opprimées, exploitées, fragilisées socialement et économiquement.

Le magazine accompagne la sortie de notre album. 50 000 exemplaires sont distribués gratuitement sur les points de vente. Deux semaines après la publication, Skyrock appelle la maison de disque, tape un coup de pression pour qu’elle le retire.
À l’époque, Ekoué (membre de La Rumeur) avait écrit un article assez pamphlétaire et provocateur sur l’état de pourrissement du rap. Pour accompagner le texte une illustration montrait le logo de Skyrock criblé d’impacts de balles.
Nous apprenons que la radio menace de porter plainte si le magazine n’est pas retiré. Nous y sommes complètement opposé, surtout venu de cette radio qui joue les vierges effarouchées, dont le CSA menace de coupé l’antenne et qui hurle à la liberté d’expression pour pouvoir déverser ses insanités. Malgré notre opposition, la maison de disque cède par intérêts. Dans ce milieu, tout est lié par le business, notamment les maisons de disques et les radios.
Donc, nous manifestons notre désaccord, mais quelque part l’argent a parlé, le magazine est retiré. La moitié a déjà été distribuée le reste est brûlé. Malgré tout, ils portent plainte, et une semaine après le ministère de l’intérieur à son tour.
Nous apprenons très rapidement que Skyrock avait une autre affaire en cours, une fusillade devant chez eux. Un gars qui voulait voir une star américaine s’est fait refoulé. Le lendemain il revient, estime avoir été humilié et tire au grenaille sur le vigile. Apparemment, dans cette affaire, Skyrock, a versé notre magazine au dossier pour étayer la thèse selon laquelle dans le rap, dans cette mouvance, il y a plein de gentils garçons mais aussi plein de mauvais garçons, des gens violents... Regardez, la preuve en est, ce magazine, d’ailleurs je vous invite à jeter un œil... Skyrock est aller dénoncer directement aux keufs, d’où les poursuites du ministère de l’intérieur.
Donc voilà, et le contexte concret matériel, et le contexte idéologique qui persiste encore.

Ton sentiment sur cette accusation
Hamé : En France, le racisme et la fascisation n’ont pas besoin de l’extrême droite pour être effectifs. Ils sont aujourd’hui institutionnalisés, au sens large, entre autres dans ce genre d’expression.
Pour ce qui est des rapports malheureusement très souvent sanglants avec les forces de l’ordre, et a notre détriment, on ne peut pas dire que la police tue, dire que sur des décennies et des décennies l’histoire des quartiers est ensanglantée part des morts par balle du fait de la police. Elle fait son travail honorablement, protège les citoyens honnêtes, les biens, et n’outrepasse pas ses droits. Elle ne sort jamais de la légalité. Voilà, aujourd’hui il faudrait s’en tenir là.

Sur les évolutions depuis la publication du texte.
Hamé : Sarkozy est un très bon communicant, il use parfaitement de la démagogie et du populisme. Il prétend venir en aide aux pauvres alors qu’il est flic comme jamais. Il se contente, d’une certaine manière, de poursuivre un dispositif policier répressif qui existait déjà, sous les gouvernements de gauche comme de droite, en y mettant sa touche personnelle. Le climat est favorable à une intensification de la présence policière, tous les prétextes sont bons, insécurité routière, insécurité dans les quartiers, terrorisme religieux, les keufs qui pendant la campagne électorale manifestent et réclament de nouveaux droits, la montée des scores du FN, le 21 avril... Ça rentre comme dans du beurre. Il y a 20 ans, avec les dispositifs mis en place aujourd’hui, il se serait pris des caillasses, on aurait assisté à une levée de bouclier criant au liberticide. Aujourd’hui la France semble avoir besoin de sécurité. Le commerce de la peur, cette espèce de fantasmagorie de la psychose, est extrêmement lucratif et porteur dans un contexte de précarisation et de licenciement. Franchement depuis six mois c’est effrayant, l’agressivité des patrons, l’arrogance et le mépris. Un nombre de plus en plus croissant de familles ouvrières modestes est plongé dans l’insécurité, avec comme pendant à cette politique, le répressif. Une coïncidence ?
D’un côté ils précarisent, ils appauvrissent, de l’autre ils intensifient la possibilité d’intervenir sur d’éventuelles poussées ou effervescences de colère. Le pont est vite fait. C’est de cette manière que je conclue mon article.
Personnellement cela ne me surprend pas. Ce qui est regrettable c’est qu’à priori beaucoup de gens tombent dans le panneau. Mais tout ceci ne dure qu’un temps. On ne peut prévoir une réaction de masse, ce n’est vraiment pas une science exacte. Fin 95, à une semaine près, les économistes, les observateurs de la vie sociale ont été incapables de prévoir les évènements.
Depuis longtemps je n’attends plus rien des institutions, si ce n’est des balles, des coups de bâtons et des lettres de licenciement. Aujourd’hui je ne crois plus qu’aux mobilisations populaires. Du haut de mes 27 ans c’est la seule certitude que je puisse encore avoir.

Les positions que j’exprime sont partagées par la Rumeur, cela ne fait aucun doute. Maintenant nous sommes nombreux à nous être exprimés, à avoir chantés ou écrits sur le sujet, pas seulement dans le rap. Mais, dans le rapport de force social nous ne pesons pas encore suffisamment.
Cette question ne doit pas être traitée de manière détaché, en vase clos. Les crimes policiers, les morts par balle, sont aussi l’expression, à un certain paroxysme d’une oppression plus globale. Ce ne sont pas des dommages collatéraux ou des effets pervers, mais l’extrême limite de cette logique. Lorsque l’on institutionnalise le mépris et la discrimination, en s’asseyant sur l’histoire véritable de l’immigration, et en criminalisant à longueur de journée dans les médias la pauvreté et la misère des quartiers populaires, on génère les crimes policiers. Ils sont les conséquences et non la cause qu’aujourd’hui tout le monde se refuse à voir.

Comment vous être utile ?
Hamé : Le 4 ou le 6 juin, nous donnerons un concert à St-Ouen. L’après-midi nous voudrions organiser un forum sur la question. Résistons Ensemble y est invité. Seront sûrement présents les gens du MIB ainsi que d’autres organisations ou individus. Puisque cette question nous tombe sur la gueule, un procès du ministère de l’intérieur, puisque nous avons l’opportunité de remuer le caca et contribuer à braquer les projecteurs sur le sujet, fonçons dans le lard.
Nous organiserons une série de 3-4 concerts avant le procès qui devrait avoir lieu à l’automne, avec peut-être l’après midi, des tables, des conférences, des débats sur la question. Au-delà du soutien à la Rumeur c’est cette question qui est primordiale, elle nous tue au quotidien.
Nous allons essayer de produire une charte contenant certaines revendications, et, si un soutien est possible nous aimerions qu’il le soit en rapport avec cette base. Un texte collectif qui ne serait pas la seule émanation de La Rumeur, mais auquel vous pourriez vous joindre, avec le MIB, Bouge qui Bouge peut-être. Nous aimerions aussi faire appel à des personnes ayant écrit sur la question capable d’étayer et d’agrémenter de faits historiques (ce ne sont pas des lubies ou un cauchemar éveillé, mais bien la réalité).
Maintenant nous essayons de rendre notre défense la plus offensive possible. Nous risquons de nous retrouver avec non seulement le ministère de l’intérieur, mais tous les syndicats de keufs au cul. C’est clair, il va y avoir de la pression, volonté de faire un exemple. Nous voulons médiatiser l’affaire ce qui envenimera les choses. Nous avons 9 chances sur 10 d’être reconnu coupable de diffamation, ce qui veut dire au minimum une grosse amende. Rarement, quelqu’un a fait du ferme pour de la diffamation mais c’est une possibilité. Nous sommes près à tout, nous nous attendons au pire, peut-être 300 000 francs. Je suis attaqué personnellement à titre d’auteur, la maison de disque à titre d’éditeur. Le PDG de Emi-Virgin, c’est pas la moindre de mes fiertés, sera à la barre des accusés avec moi.

Le moral est bon chez la Rumeur, nous n’avons jamais été aussi serein, avec la conscience d’avoir touché à un truc. Quelque part cela fait aussi partie des défis que le rap doit relever, il a malheureusement abandonné ces combats depuis trop longtemps. Les Majors l’ont pour beaucoup acheté, les gros promoteurs genre Skyrock sont devenus des maquereaux avec le consentement de la grosse majorité de la scène rap.
Nous avons comme seule prétention celle d’essayer de redonner ses lettres de noblesse à cette musique. Nous ne sommes pas des artistes reclus dans leur tour d’ivoire qui dénions jeter un regard condescendant sur la masse qui s’agite en bas de la tour, nous faisons partie de la masse, nous sommes des enfants du peuple.

Comment envisager de Résister Ensemble ?
Hamé : Des réseaux de solidarité, géographiquement éparpillés, des cellules regroupées entre elles. Après il reste les petites divergences à caractère idéologique ou politique sur les trotskars, les anars, les maos, les autonomes, les libertaires, les sans étiquettes... Peu importe, la question est de savoir si l’on peut se mettre d’accord sur un certain nombre de points, nous n’avons pas le choix. Créons une charte de convergence, par rapport à la question des brutalité policière, des sans papiers, de la fascisation dans ce pays, de l’égalité des droits, mettons nous d’accord là-dessus, et tissons ces réseaux. Soyons quelque part en perspective de devenir une force motrice d’action et de lutte. Il ne faut pas avoir son petit combat à soi dans son coin. Tous ceux qui dans ce pays ont des raisons d’être en colère de se révolter devraient s’organiser, c’est ce vers quoi j’aspire. Quelque part nous ne concevons pas notre musique en dehors de cette aspiration. Nous sommes tous des enfants de l’immigration, du travail. D’origine Algérienne, issu d’un milieu ouvrier, je sais dans quelles conditions la génération de nos parents est arrivée dans ce pays, je connais les luttes qu’ils ont pu mener. À ce titre, nous voudrions, mais c’est peut-être ambitieux, que notre musique soit un peu le prolongement, la fertilisation de cette histoire. Voilà pourquoi l’aspect historique est important dans notre album, dans tout ce que l’on fait, dans la mesure où nous prétendons nous situer politiquement. Quelqu’un qui prétend faire de la politique sans faire d’histoire est, soit un ignorant, soit un menteur. Il est soit naïf soit dangereux.
À ces problèmes collectifs, il n’y a que des solutions collectives.

Plus d’informations / lire et signer le texte d’appel de La Rumeur