Garde à vue : la torture légale

bulletin numéro 40 mars 2006


8 mars 2006


Garde à vue : la torture légale

RESISTONS ENSEMBLE / bulletin numéro 40 / mars 2006


- Garde à vue : la torture légale
- Des pilules contre la délinquance
- Maman, dis moi c’est quoi le capitalisme ?

- [ SUR LE VIF ]
Najib avait rendez-vous avec sa copine pour aller au cinéma...

- [ CHRONIQUE DE L’ARBITRAIRE ]
C’est jugé, les flics ont toujours raison, Virginie doit payer !
Un flingue, une matraque, un uniforme... le nouveau « collègue » arrive dans les collèges du 92
Sarkozy édite le guide de la rafle
« Égalité des chances »... devant les matraques ?
La « double peine » revient, deuxième expulsion pour révolte
Raconte-moi une histoire...
La machine judiciaire exprime sa solidarité à deux machines biométriques

- [ AGIR ]
Résistance à la délation
Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans
Brice Petit et Jean-Michel Maulpoix




Garde à vue : la torture légale

Après les déclarations des accusés d’Outreau devant la commission d’enquête parlementaire sur les conditions de garde à vue qu’ils ont dû subir, un livre, Place Beauvau, la face cachée de la police (éditions R. Laffont), a mis l’accent sur les violences exercées contre de présumés terroristes dans les locaux de la PJ de Lyon en 1995.
Contrairement à des députés particulièrement hypocrites, nous n’allons pas faire mine de nous indigner ici de ces « révélations » qui ne nous apprennent rien sur la nature de la garde à vue. Il ne s’agit en effet pas de dysfonctionnement du système, mais de son fonctionnement ordinaire.
La garde à vue est le moment de la procédure pénale où le soi-disant « présumé innocent » et véritable présumé coupable est à la merci totale, ou presque, de l’institution policière. Celle-ci ne va alors pas se priver d’user de tous les moyens de pression possible pour faire craquer le suspect : et pourquoi s’en priverait-elle, la garde à vue c’est fait pour ça. Manipulations, mensonges, intimidations, fatigue, inconfort, parfois menaces, parfois coups, la garde à vue c’est la « mise en condition » du suspect pour lui extorquer les aveux qui serviront ensuite à le condamner. La présence de l’avocat en garde à vue, accordée tardivement par une « loi sur la présomption d’innocence » que les parlementaires n’ont cessé de rogner depuis son adoption, a tout d’une mauvais farce. L’avocat ne peut en effet ni assister aux interrogatoires, ni consulter le dossier, ni même, en principe, révéler la présence de son client dans les locaux de la police, bref, il ne sert à rien, sauf à prononcer quelques paroles d’encouragements pendant la demi-heure d’entretien qu’on lui accorde.
En garde à vue, les mauvais traitements ne sont pas des bavures, ils sont la norme.




Des pilules contre la délinquance
Septembre 2005, l’INSERM rend publique une expertise intitulée Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent qui préconise le dépistage dès l’âge de trois ans de comportements qui préfigureraient la délinquance, « cynisme, agressivité... ». L’idée n’est pas nouvelle puisqu’elle rappelle les théories médicales déterministes de la fin du XIXe siècle sur le criminel-né. Le texte suggère aussi, après diagnostique, l’usage de psychotropes et autres neuroleptiques comme la Ritaline pour les troubles de l’hyperactivité.
Cette expertise n’est pas la seule à produire ce son de cloche puisque le « plan de prévention de la délinquance » présenté par Sarkozy en décembre 2005 s’en fait l’écho. Depuis 2003 les textes à ce sujet s’enchaînent, mais leur contenu reste le même... en finir avec « l’excuse sociale », institutionnaliser la délation en obligeant les acteurs sociaux à « partager leurs informations », faire respecter la loi en réprimant les potentiels délinquants dès le dépistage de comportements « déviants » et ceci dès la petite enfance, accélérer la réponse judiciaire, abaisser l’âge des mesures pénales, de l’enfermement, punir les parents des pseudos futurs délinquants avec mise sous tutelle des prestations sociales et autres « stages d’aide à la parentalité »... Les nombreuses dispositions de ce plan n’ont, pour certaines, pas attendu le vote de la loi pour être appliquées par décrets multipliant les pratiques délatoires et le flicage en tout genre : le logiciel de fichage Base Élève, les flics à l’école, la biométrie dans les cantines scolaires...
Dans cette logique, ce que le pouvoir appelle délinquance, c’est-à-dire en réalité la résistance et la révolte, est une maladie qu’il faudrait traiter de manière individuelle. Un enfant rencontre des problèmes, exit les causes sociales, la violence du chômage, le harcèlement policier... il faudrait en trouver les origines dans, par exemple, le « patois » (c’est le mot utilisé dans le rapport Benisti) des parents d’origine étrangère. Parler arabe ou soninké à la maison serait mal, alors que l’anglais est largement considérer comme une « richesse ». Cette politique vise à criminaliser les populations les premières touchées par la violence de cette société de misère et d’exploitation, se donnant toujours plus de moyens pour contrôler par la force ou par l’aliénation tous ceux qui se mettent en travers de son chemin. Mieux contrôler des populations dangereuses parce que potentiellement en révolte.
Plus d’info sur le site http://www.abri.org/antidelation/, voir aussi le numéro 16 du journal l’Envolée http://lejournalenvolee.free.fr/




Maman, dis moi c’est quoi le capitalisme ?
Constatation d’un jeune de la ville de Saint-Denis (93) : « On ordonne des couvre-feux pour empêcher des mineurs de sortir la nuit, mais le Parlement vient de voter le droit les faire travailler la nuit à partir de 14 ans ! »




> SUR LE VIF

Najib avait rendez-vous avec sa copine pour aller au cinéma...
Le 21 janvier, il est témoin en route d’une scène d’interpellation, deux personnes fuient devant la police, le dépassent, et l’une d’elles est rattrapé plus loin. Lorsqu’il recroise la voiture des flics tout ce complique : « Le jeune était par terre et ils le frappaient... Brusquement un des policiers m’a crié : “Viens là toi, fils de pute !” et je n’ai rien compris ! Je suis allé vers eux et un des deux m’a brusquement flanqué un grand coup de pied dans le ventre et je me suis retrouvé par terre, menotté les mains derrière le dos. J’ai essayé d’expliquer. Le policier s’est mis à me frapper partout à grands coups de pied dans le ventre, dans les côtes, dans le dos et m’a immobilisé sous sa chaussure sur la nuque en m’écrasant la figure par terre. » Dans leur voiture : « l’autre jeune y était déjà et ils lui ont demandé s’il me connaissait, il leur a dit que non pas du tout, j’ai essayé d’expliquer calmement à nouveau que j’allais au cinéma, que ma copine m’attendait à 22 heures devant... Le policier a recommencé à me frapper à coups de poing, je n’ai plus rien dit... En s’asseyant à côté de moi il m’a crié : “Pousse-toi ! Je me mélange pas avec ta race !”, et on est arrivé au commissariat d’Enghien-les-Bains. » Où les violence se poursuivrons.
Des infos sur les suites de l’affaire sur http://www.bernard-defrance.net/




> CHRONIQUE DE L’ARBITRAIRE

C’est jugé, les flics ont toujours raison, Virginie doit payer !
Rappelons-le : le 6 juillet 2005 Virginie, 19 ans, a été interpellée lors de la Manifestive contre toutes les frontières de Lyon sans aucune raison et de façon très violente (4 coups de taser...). Accusée de violence, de rébellion... elle a été relaxée par le tribunal. Le procureur a même déclaré qu’on ne pouvait pas tenir compte, dans ce dossier, de la parole des policiers. Mais la cour d’appel de Lyon a désavoué la relaxe, et lui a infligé, le 23 février, 3 mois de prison avec sursis, 5 ans d’interdiction de droits civiques et plus de 3 000 euros à verser à ses agresseurs ! Dans l’immédiat, le Collectif de soutien aux inculpé(e)s de la Manifestive du 30 avril 2005, l’association Témoins, appellent à continuer la mobilisation et le soutien financier (CCP 1 433 659 Y - Lyon) pour les frais de justice, car cette affaire va bien sûr être portée aussitôt devant la cour de cassation.

Un flingue, une matraque, un uniforme...
le nouveau « collègue » arrive dans les collèges du 92

C’est le contenu de l’accord qui a été signé fin février entre Sarkozy, président du conseil général des Hauts-de-Seine et l’Education Nationale. À titre « expérimental », dans douze collèges du 92, les flics s’installeront à demeure. Si ça marche, l’expérience sera étendue, nous dit-on. Alors que des dizaines de milliers de postes d’enseignants, de surveillants, d’agents de maintenance, d’infirmières, de précaires sont supprimés, ce sont des flics qui sont censés faire leur taf. Pour commencer, ils s’occuperont des enfants des quartiers pauvres, à majorité d’origine immigrée. C’est ça la « prévention de la délinquance » et l’« égalité des chances » pour le pouvoir. Dans deux collèges à Clichy, parmi les douze sélectionnés du 92, parents et profs réunis ont refusé cette provocation : « ce dispositif est une véritable provocation au moment ou le gouvernement supprime des moyens humains dans les établissements » déclarent-ils.
Dernière minute : en dépit des protestations les flics sont arrivés le 6 mars dans les 12 collèges. Affaire à suivre !

Sarkozy édite le guide de la rafle
Une circulaire du 21 février sur la chasse à l’étranger en situation irrégulière, détaille très précisément aux divers intervenants sollicités par le ministre (préfets, gestionnaires de foyer, guichets des préfectures...) les lieux et modalités les plus propices à l’interpellation et à la mise en œuvre de l’expulsion (attention a ne pas offrir au tribunal, trop laxiste, l’opportunité d’annuler la décision d’expulsion). Objectif : faciliter l’application du projet de loi, dit CESEDA, déjà passé en conseil des ministres et dont le vote ne saurait tarder. Ce texte est-il précisé est d’application immédiate.

« Égalité des chances »... devant les matraques ?
La jeunesse proteste contre l’apprentissage à partir de 14 ans, le « droit » de travailler la nuit, le CPE : 80 arrestations à Grenoble, 2 lycéens à Marseille, un « outrage et rébellion » à Tours, et encore dans cette ville 80 CRS délogent les occupants pacifiques de l’IUT, les étudiants tentent de revenir. Suite aux violences policières, un étudiant a la mâchoire brisée et une étudiante est paralysée du côté droit.

La « double peine » revient, deuxième expulsion pour révolte
Sarkozy se vantait d’avoir aboli la « double peine ». Il est de nouveau pris en flagrant délit de mensonge. Aubin, étudiant béninois à Reims (condamné à 15 jours de prison ferme sur l’accusation d’avoir brûlé deux poubelles), a été expulsé le vendredi 24 février. Le Préfet Dubois a justifié par écrit sa décision d’expulsion en collant à Aubin le délit inexistant d’incendie de véhicule. (http://soutenons.aubin.over-blog.com/). Comme d’habitude, le pouvoir s’acharne sur les plus vulnérables. Il ne faut pas que ça continue.

Raconte-moi une histoire...
Comment Samir peut-il donner deux coups de pieds à un policier en ayant les deux pieds menottés ? Comment aurait-il pu s’enfuir du commissariat avec les deux pieds entravés ? Comment expliquer que lors de sa fouille rien n’a été trouvé sur lui, or ce n’est que le lendemain que l’inspecteur lui a dit qu’on avait trouvé de l’héroïne sur lui. De plus, la dose d’héroïne aurait été détruite dans l’analyse et la preuve de son existence n’est plus... tout ça ce sont des bricoles. Quand la police veut « monter » une affaire pour justifier sa violence, la moindre vraisemblance est inutile. La preuve ? Samir a été condamné, le 13 février à Lyon à six mois de prison avec sursis, ainsi que 400 euros de dédommagement pour un des policiers et 400 euros pour les frais de justice.

La machine judiciaire exprime sa solidarité à deux machines biométriques
« Les trois personnes accusées d’avoir dégradé les bornes de contrôle biométrique du lycée de la Vallée de Chevreuse ont été condamnées à trois mois de prison avec sursis, 500 euros d’amende et 9 086 euros de dommages et intérêts. Les trois accusé-e-s ont été jugé-e-s coupables, co-auteurs de la dégradation. Ils ont décidé de faire appel de cette décision. À aucun moment n’a été discutée la question centrale de ce procès : que de telles machines n’ont rien à faire dans une école ni ailleurs. Ce verdict est un soutien objectif à la diffusion massive de cette technologie, entreprise menée par l’État et l’industrie. Nous sommes de celles et ceux qui refusent de se résigner à cet état de fait. »
Extrait du communiqué de presse. Plus d’info sur http://1984.over-blog.com/




> AGIR

Résistance à la délation
« Tous les projets actuels, que ce soit en protection de l’enfance ou de prévention de la délinquance, vont dans le même sens : contrôle social et police des familles. C’est à la lumière de ceux-ci qu’il faut comprendre le “débat” sur le secret partagé : le secret professionnel constitue en effet un obstacle, un verrou au moins partiel, à la mise en œuvre de ces politiques. » Extrait du tract du collectif national unitaire de résistance à la délation.
Journée de grève avec manifestation à Paris le mercredi 22 mars 2006.
Info : www.abri.org/antidelation/

Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans
Une pétition en réponse à l’expertise INSERM sur le trouble des conduites chez l’enfant à signer sur http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/index.php

Brice Petit et Jean-Michel Maulpoix
ont comparu en appel le jeudi 2 mars devant le Tribunal de Montpellier pour avoir diffusé un témoignage sur des violences policières. Le verdict est mis en délibéré jusqu’au 6 avril. Soutien, info : soutien_bpjmm@tierslivre.net