La Méditerranée, un nouveau mur de Berlin ?

bulletin numero 141 - mai 2015


11 mai 2015


La Méditerranée, un nouveau mur de Berlin ?

RESISTONS ENSEMBLE / bulletin numéro 141 / mai 2015


La Méditerranée, un nouveau mur de Berlin ?


Ce sont des milliers de cadavres qui flottent dans ses eaux bleues. Anonymes, ils ne sont que des signes de la barbarie. « Oh la pauvreté en Afrique, Oh les guerres civiles, tribales, religieuses… » Ces larmes de crocodiles versées sur leurs cadavres ne suffisent même pas à leur tisser un linceul.
Ceux qui les ont assassinés sont les gouvernements occidentaux, leurs fabricants d’armes, les dictatures pourries créées et soutenues par ceux qui pillent les matières premières d’Afrique, les accords de « libre-échange » sous le diktat des monopoles occidentaux qui interdisent aux paysans africains jusqu’au droit de produire leurs propres semences… Tout le continent s’engouffre dans la mer, dévoré par la rapacité de ces chacals.
L’Europe en première ligne, profitant de son héritage colonial, sert d’« expert ». Son armée de frégates, de Frontex et Co tend à transformer la Méditerranée en un nouveau mur de Berlin, mille fois plus meurtrier que son prédécesseur qui coupait l’Allemagne et l’Europe en deux.
Et ça marche. À l’annonce de milliers de cadavres du printemps il n’y a pas eu d’« effet Charlie », pas de pleurs, de manifestations ni d’indignation.
Mais c’est aussi le silence radio, ou presque, du côté de leurs compagnons de misère d’Europe, qu’ils soient noirs, blancs, arabes et pauvres… encore quelques degrés mieux lotis que leurs frères africains. Le pouvoir, les partis de gôche, de droite, d’extrême droite… ont réussi à implanter dans pas mal de têtes que l’autre pauvre, l’autre victime du racisme, le sans papiers, le Rrom, le nouveau migrant est un concurrent, sinon un ennemi.
De ce côté de la Méditerranée, il n’y a pas eu de milliers de cadavres victimes de ce système, pas encore. Il n’y a eu ces derniers temps « qu’une » dizaine de morts directes suite à des violences policières. Mais prenons garde. Pour commencer, les assassins de la Méditerranée ne nous servent que le hors d’œuvre, le plat principal est à venir. Ne pas se laisser bouffer la tête par leur propagande et savoir reconnaître nos alliés des deux côtés de la Méditerranée… Ça urge.



3 ans déjà, Amine, on ne t’oublie pas !
On se souvient de ce policier invoquant la légitime défense pour avoir abattu d’une balle dans le dos Amine, à Noisy-le-Sec le 21 avril 2012. Poursuivi pour « violence volontaire ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner », le policier passera aux Assises en janvier 2016. Depuis sa mort, sa sœur, Amal, n’a pas cessé de se battre pour obtenir vérité et justice. C’est en ce sens qu’environ 200 personnes se sont réunies devant la gare de Noisy-le-Sec le samedi 2 mai. Le trajet s’est déroulé dans la ville, jusqu’au barrage de CRS où les prises de parole ont rappelé la douleur des familles, la difficulté de se faire entendre, entre falsification ou dissimulation de preuves et lenteur de la justice, que ce soit pour Amine, Geoffroy, Joachim ou d’autres, en France, aux Etats-Unis ou à Ayotzinapa au Mexique. Partout la même lutte, la même colère, la même violence de l’État. Pour tout cela et pour toutes les familles et victimes, on lâche rien !

Lahoucine : seule la lutte paie
Dans le procès suite à l’assassinat de Lahoucine par 3 policiers, il y a 2 ans, à Montigny-en-Gohelle (62), la juge d’instruction semble faire tout ce qu’elle peut pour protéger les policiers. Ainsi, elle avait décidé de refuser de faire la reconstitution des faits. La ténacité de la famille qui a fait appel de cette décision, le travail des soutiens et la manif de 350 personnes ce 14 mars (voir RE 140) ont permis d’avoir gain de cause : le 9 avril, la cour d’appel a statué que la reconstitution aurait bien lieu, désavouant ainsi la juge d’instruction. Ce n’est qu’une étape, le chemin sera encore long pour obtenir vérité et justice. Mais, là aussi, seule la lutte paiera.



> [ C H R O N I Q U E D E L ’ A R B I T R A I R E ]


Morts entre les mains de la police
Pierre Cayet,
52 ans, habitait Stains dans le 93, il était Guadeloupéen. Dans la nuit du vendredi 24 au samedi 25 avril, il est contrôlé sur l’A1 à Saint-Denis. Rapidement, les médias parlent d’un individu « fortement alcoolisé », contraint de rentrer chez lui en taxi et revenu énervé au commissariat pour récupérer ses papiers restés dans le véhicule. Pour la police, l’homme aurait « voulu s’en prendre à un des policiers “qui l’a repoussé avec la paume de la main”, ce qui a provoqué sa chute. “Par malchance, il est tombé à la renverse et l’arrière de son crâne a heurté l’arrête du trottoir” ». Pierre Cayet est décédé quelques heures plus tard à l’hôpital, mort après être tombé de sa propre hauteur ? La famille aussi se pose des questions. « Pourquoi, s’il était vraiment dangereux, ne l’a t-on pas neutralisé ? Mon frère pèse à peine 60 kg, il est greffé d’un rein, invalide depuis des années, on aurait pu le menotter facilement ». Et les infos filtrent petit à petit. En fait d’alcoolémie Pierre était à 0, 48 mg/l d’air expiré (la limite étant à 0, 40 mg/l d’air expiré). Et puis, s’il est tombé à la renverse, « pourquoi alors présente-t-il une plaie au niveau de l’œil ? » interroge encore son frère…
Amadou Koumé,
33 ans et papa de deux enfants, était originaire de Saint-Quentin dans l’Aisne, en Picardie. Il faudra plus d’un mois pour que la mort du jeune homme ne paraisse dans la presse. Dans la nuit du 5 au 6 mars, Amadou était interpellé à Paris et conduit au commissariat du Xe arrondissement. Les flics expliquent que le jeune homme tenait des propos incohérents et qu’il se serait débattu au moment de lui passer les menottes. S’en suit une clé d’étranglement. « Le matin de son décès, il a fallu que je passe trois appels à l’IGPN et que j’implore la personne au standard pour enfin obtenir des informations sommaires, témoigne sa grande sœur. On m’a dit qu’il avait été transporté couché dans le fourgon et qu’il était mort à 0h30. En découvrant l’acte d’état civil, j’apprends que son décès n’a été déclaré que deux heures plus tard. Je me demande si on ne veut pas nous cacher quelque chose. » À l’Institut médico-légal, plusieurs membres de la famille se sont aperçus qu’il présentait une plaie au visage. Le parquet de Paris a très rapidement requalifié les faits en homicide involontaire et depuis silence radio…
Un homme de 27 ans
est mort le 21 avril à l’entrée du Havre. Fuyant un contrôle de police, il est passé pardessus un mur et s’est retrouvé sur les voies ferrées lorsque un train a déboulé.

Flashball : 6 mutilés - 1 policier jugé
Dans le Doubs en février 2011, une bagarre entre deux bandes. Ayoub, lui, attend le bus. La police intervient. Il perd un œil suite à un tir de flash-ball. Sa plainte a abouti à un non lieu. Aucune « infraction pénale » n’ayant été retenue contre le policier. Idem pour la plainte de Yann à Toulouse ou encore celles de Quentin, Emmanuel et Damien à Nantes. Et sans doute pour d’autres dont on n’a pas connaissance.
Le policier qui a gravement blessé Geoffrey en 2010 à Montreuil, lui, a été condamné à un an avec sursis pour violences aggravées et faux et usage de faux. Peine dérisoire, de plus il fait appel. Dans ce contexte la liste des mutilés ne peut que s’allonger.

Procès du site Le Jura libertaire
Faisant suite à une plainte déposée en juillet 2010 par Hortefeux ministre de l’intérieur de Sarkozy pour « injure et diffamation publiques contre la police », le procès intenté à ce site militant a finalement eu lieu le 5 mai au tribunal de Paris. Visé par la même plainte, Indymédia Grenoble échappe au procès étant donné l’impossibilité de repérer les auteurs du site (adresse IP, hébergeur dispersé aux 4 coins du monde). En cause la publication d’un article sur l’assassinat de Karim Boudouda, commis par la BAC à la Villeneuve (Grenoble). L’accusation se focalise sur l’utilisation du terme « assassinat » jugé inadapté. Le Jura libertaire choisit un mode de défense politique (intervention d’Amel Bentounsi et de Mathieu Rigouste). Le procureur a requis 200 euros d’amende. Verdict le 16 juin.

Des bus pour les Rroms
Le syndicat FO des chauffeurs de bus de Montpellier a demandé à ce que soit affrétée une ligne de bus spéciale pour les Rroms, se plaignant d’une « odeur intenable » et de risque de danger sanitaire. Stigmatisant un peu plus une population vivant dans des conditions si précaires qu’on en arrive à vouloir rétablir l’apartheid pour le bien-être de nos narines, au lieu de s’attaquer à la pauvreté, FO préfère s’attaquer aux pauvres. Dans cette affaire, c’est FO qui pue !

« Le droit à la vie privée n’est pas une liberté »
a déclaré le ministre de l’Intérieur Cazeneuve, ajoutant qu’il mettait quiconque au défi de trouver une disposition attentatoire aux libertés dans le projet de loi « Renseignement ». Estrosi, lui, connu pour ses positions très droitières à l’UMP, surfe indignement sur la vague du 7 janvier : « C’est une troisième guerre mondiale qui nous est déclarée aujourd’hui ». Avant de surenchérir en dénonçant « “les cinquièmes colonnes” de l’islamo-fascisme ». Non ce ne sont pas les musulmans qui sont un danger ; c’est bien cet esprit de haine et ces postures électorales droitières, qui font grimper depuis des années le FN.

Vers la légitime autorisation de tuer pour les policiers ?
C’est ce vers quoi nous nous dirigeons si nous ne sommes pas vigilants. En témoigne la proposition de loi de Ciotti (UMP), qui comptait permettre aux policiers de tirer sur un individu en cas de « menace d’un danger imminent » et non plus en cas d’« agression ». Ainsi, le policier qui a tué Amine en 2012 aurait pu invoquer la légitime défense parce que selon lui, Amine représentait un danger. Quand on sait combien de personnes, notamment jeunes et habitants les quartiers populaires, représentent un « danger » au yeux la police. Retoquée en 2012, cette loi l’a été une fois encore le 2 avril : elle fera son retour quand les circonstances le permettront, soyons vigilants !

« Non à la surveillance généralisée ! »
Le 5 mai, l’Assemblée nationale a voté à une large majorité le projet de loi « Renseignement » (voir RE 140) malgré une mobilisation importante depuis le début. Le projet de loi voté, l’hébergeur Altern.org a fermé son site et annoncé qu’il allait quitter le territoire pour « le déménager dans un pays plus respectueux des libertés individuelles ». La veille avait lieu un rassemblement à l’appel de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), cosigné par des syndicats, des associations de défense des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature, la CGT Police Paris. Près de 200 personnes se sont retrouvées aux Invalides à Paris avec l’objectif de lutter contre cette surveillance généralisée. Ombres au tableau, des discours de la CGT Police Paris et du syndicat FSU de l’Administration pénitentiaire justifiant la société de contrôle et de répression. S’opposer à cette loi, ce doit être pour nous dire non à cette société où tout le monde est suspect. À voir si la mobilisation s’amplifie, grâce à chacun(e) de nous, alors que le texte passe maintenant devant le Sénat.




> [A G I R ]


Pour Zyed Et Bouna
et toutes les autres victimes de la police, appel à la mobilisation nationale du 18 mai
(extraits) (voir aussi RE 140)
Le 18 mai prochain, la cour d’appel rendra publique sa décision au sujet des deux policiers mis en examen dans la mort de Zyed et Bouna. La justice ne retient plus aujourd’hui que la non-assistance à personne en danger pour les deux policiers mis en cause.
Après dix ans de batailles judiciaires et une relaxe confirmée une première fois en appel, quelque soit le verdict il ne sera jamais pleinement satisfaisant… Insultes, contrôles d’identité abusifs, brimades, mutilations, autant de pratiques qui constituent une violence quotidienne. Ali Ziri, Abou Bakari Tandia, Mohammed Boukrourou, Lamine Dieng…
Nous ne parlons pas ici d’accidents ou de bavures, mais d’une violence d’État dont la justice se fait complice. Faut-il s’étonner des révoltes dans les quartiers populaires ?
Le 18 mai nous ne nous tairons pas ! Ces combats ne s’arrêtent pas aux portes des Palais de justice. Dans la rue, la lutte se construit et la solidarité s’organise.
Des familles et des collectifs se retrouveront devant la cité judiciaire de Rennes à 14h30. À Lyon et au Havre rassemblement à 19h devant le TGI. À Montpellier rassemblement solidaire à 19h devant le TGI ! (Place Pierre Flote). À Toulouse RDV métro Palais de Justice à 19h. En île-de-France, rassemblement à 19h devant le tribunal de Bobigny, lieu de tous les non-lieux.
D’autres villes s’organisent aussi : info, tracts, flyers, affiches sur : zyed-bouna-18-mai.com
contact : zyedbouna18mai@gmail.com

Rencontre avec les familles et collectifs qui luttent contre les violences d’État
Le 15 mai à partir de 18h au centre social L’ATTIEKE ! 31 boulevard Marcel Sembat – Saint Denis (93) M°13 Porte de Paris / RER D Gare de St. Denis. Une discussion de 18h à 20h30, avec projections et tables d’information. Suivie d’un repas dans une ambiance festive et musicale. Ce sera l’occasion d’échanger de construire des liens qui nous permettent d’être plus forts et solidaires dans nos luttes.

Fête de l’insurrection Gitane
Cette année encore La voix des Rroms célèbrera le soulèvement, le 16 mai 1944, des femmes du « camp des familles tziganes » d’Auschwitz II-Birkenau, sous la forme d’un Spectacle Politique Vivant. Samedi 16 mai à partir de 19h sur le parvis de la basilique St Denis jusqu’à dimanche 17 mai 19h.

Signer la pétition
contre la condamnation de militants toulousains qui avaient manifesté cet automne contre les violences policières suite à l’assassinat de Rémi Fraisse (voir RE 140) http://ecra.se/7JXt