« Sauf que le peuple a brillé par son absence »

bulletin numéro 197 – du 10 juin 2021


10 juin 2021


« Sauf que le peuple a brillé par son absence »

RESISTONS ENSEMBLE - bulletin numéro 197 – du 10 juin 2021


« Sauf que le peuple a brillé par son absence »

L’Histoire nous réserve des moments improbables, chaotiques. Mais souvent la pointe d’acier de nouveaux rapports de forces apparaît dans la confusion générale. C’était le cas le 19 mai devant l’Assemblée Nationale à Paris. Une foule de 35 000 policiers, tous les syndicats unis, en présence de leur ministre de tutelle, Darmanin. Ensemble avec le parti d’extrême droite RN, le PCF, le PS, les Verts se sont joints à cette sinistre démonstration de force (seuls la FI de Mélanchon et Génération de Hamon ont refusé d’y participer). Les partis de gôche ont justifié leurs présence en affirmant qu’il ne faut pas laisser la police à la merci du RN.
Les expériences historiques tragiques nous enseignent quand s’aplatissant devant la police les partis de gauche se mettre eux-mêmes la tête dans un nœud coulant.
Les syndicats des policiers vociféraient contre la justice trop « laxiste », contre la majorité macroniste et contre le ministre de la justice, c’est-à-dire les collègues de Darmanin.
Le chef du PS en a remis une couche en demandant que les flics puissent contrôler la justice. L’assaut des flics s’est arrêté au seuil du Parlement. Ils ont juste imprimé leur sceau : politicards, mouillez vos couches, la force c’est nous !
Pour la première fois depuis le putsch des généraux d’Alger de 1958, des généraux à la retraite et des militaires actifs au moyen de deux tribunes publiées dans la presse d’extrême droite prévoient une guerre civile sanglante et menacent d’intervenir sur le territoire national contre les « hordes des banlieues », les immigrés, ceux désignés comme « islamistes », soi-disant meneurs de l’insurrection civile.
Un journal allemand a comparé la situation actuelle en France à celle de la crise de la République de Weimar au début des années 30, qui a mené à la prise de pouvoir de Hitler. On n’en est pas encore là. Néanmoins, des symptômes de la crise apparaissent.
Certaines sections de la classe dominante attachées à la forme actuelle de la V. République s’inquiètent du tournant pris vers une dictature dirigée par le duo police/armée. La censure par le Conseil Constitutionnel des paragraphes les plus décriés de la loi dite « sécurité globale » en est une illustration ; une autre en est l’acquittement pour la troisième fois d’un GJ à Tours au nom de l’affirmation du droit constitutionnel de manifester.
D’autres secteurs sont prêts pour ce tournant, en témoignent par exemple l’interdiction de la manifestion pro-palestnienne qui a occasionné une chasse à l’homme dans l’est parisien ou le procès intenté à Assa Traoré. Dans les eaux nauséabondes de la crise un seul principe politique unit tous les partis parlementaires de gôche comme de droite : enfermer les exploités dans le piège électoral nourri par le racisme, la xénophobie, l’islamophobie et par la haine du pauvre. C’est ainsi qu’ils répondent aux exigences des hommes en armes.
Sauf que… À la fin de l’année dernière aux USA, une foule d’extrême droite a envahi le Capitole à l’appel de Trump. Le 19 mai les syndicats de policiers ont demandé au « peuple » de les rejoindre. Sauf que le peuple a brillé par son absence. Un flop. Les flics se sont retrouvés seuls avec les partis de l’ « ordre ». Rien n’est encore joué.




Répression dans l’éducation ou comment faire régner la terreur

Les lycéens qui se sont mobilisés pour l’annulation des épreuves du bac ont à nouveau été confrontés à une répression policière féroce notamment à Rennes, Grenoble, Toulouse, Aix et au Mans.
Du côté des professeurs, une victoire relative a été remportée à Melle puisque le Conseil d’Etat a refusé le pourvoi en cassation du Rectorat de Poitiers et du ministère contre l’annulation de la sanction au TA visant un des 4 profs du lycée Desfontaines réprimés pour avoir soutenu la mobilisation de leurs élèves en décembre 2020 contre le nouveau bac Blanquer (voir RE 188 et 193).
C’est maintenant au tour de 6 profs du lycée Pascal de passer devant le Rectorat de Clermont Ferrand pour avoir eux aussi participé à ce mouvement qui avait pourtant agité plus d’un milliers de profs, d’élèves et de parents d’élèves de plus de 500 lycées en France (voir RE 187), ils ont déjà été condamnés au pénal (suite à une plainte déposée par leur proviseur) à une amende délictuelle avec inscription au casier judiciaire pour « intrusion dans un établissement scolaire dans le but d’en troubler la tranquillité ou le bon ordre ». Ils appellent à un rassemblement pour les soutenir devant ce Rectorat le 16 juin.
Mais le pouvoir, profitant sans scrupule de l’épuisement et de l’isolement des profs causés par la gestion désastreuse et chaotique de la pandémie en milieu scolaire, a trouvé cette année un moyen pernicieux pour continuer de se venger des récalcitrants tout en terrorisant tout le monde. Les convocations dans les rectorats s’accélèrent et se généralisent, donnant déjà lieu à des « rappels aux obligations d’un fonctionnaire » ou encore à des blâmes (inscrits au dossier pendant 3 ans et pouvant brusquement être aggravés en cas de « récidive ») : 5 profs du lycée Angela Davis de Saint Denis (pour avoir bu dans une bouteille d’eau sans masque, avoir pris en photo une affichette, avoir accepté en classes des élèves portant un bandana, avoir échangé avec les élèves autour d’un vote au CA...), deux profs du lycée J.Brel de Choisy-le-Roi (pour avoir rétorqué « c’est honteux » à la proviseure qui voulait interdire une AG de profs grévistes le jour de l’hommage à Samuel Paty – cet événement a cyniquement été cité par les autorités comme étant le plus grave des incidents recensés dans l’académie de Créteil lors de l’hommage à Samuel Paty), un prof du lycée Mozart du Blanc Mesnil (pour avoir décroché une banderole protestant contre l’interpellation policière violente d’une élève au sein de l’établissement voir RE 196), un prof du lycée Touchard-Washington du Mans (pour avoir répondu à un élève mobilisé qu’il « comprenait leurs angoisses par rapport au baccalauréat »), une prof du lycée Tillon de Saint-Bel (pour avoir porté un masque arc-en-ciel en classe lors de la journée contre l’homophobie – elle a été reçue par un référent « Valeurs de la république », la même entité qui avait rappelé à l’ordre Samuel Paty). Les raisons invoquées pour les convoquer paraissent proprement ridicules mais ne nous y trompons pas, en ce cas le ridicule tue : il tue toute velléité de se mobiliser voire même d’user de sa liberté d’expression pour dénoncer les injustices qui frappent les élèves et la dégradation sans précédent des conditions de travail. Cette politique à coup d’épée de Damoclès permet au pouvoir d’imprimer dans l’esprit de chaque prof que chacun de ses gestes ou de ses paroles, dûment interprété par un proviseur servile instrument de l’Etat, peut donner lieu à une sanction sans que le concerné n’ait un mot à dire pour sa défense. Terrible et terrifiant.




> CHRONIQUE DE L’ARBITRAIRE

On n’oublie pas les morts par la police durant le confinement
Le 8 avril, un moment de recueillement a été organisé par la famille de Mohamed Gabsi mort par asphyxie il y a un an à Béziers dans le véhicule de la patrouille de police municipale qui l’avait violemment interpellé alors qu’il rentrait chez lui à l’heure du couvre-feu (voir RE 189 et 190). Sa sœur Houda continue de réclamer #JusticePourMohamed voir www.youtube.com/watch?v=rrcNTHUBJDA&. 3 flics ont été mis en examen.
Le 15 mai, c’était au tour de la famille de Dine Benyahia d’appeler à manifester depuis la place du Vigan à Albi pour revendiquer que la vérité soit révélée sur la responsabilité de la police : le 28 avril 2020, Dine est pris en charge par une patrouille après s’être évanoui en pleine rue, il est laissé inconscient et sans surveillance durant de nombreuses heures dans une cellule de dégrisement du comico. Il y est mort d’une crise cardiaque par étouffement (voir RE 190).
Un policier de la BAC a été mis en examen pour « homicide volontaire » pour avoir tiré à trois reprises sur Olivio Gomes le 16 octobre 2020. L’enquête a permis de révéler les mensonges de la version policière concernant la mort de cet homme de 28 ans sorti pour une dernière soirée avant le 2ème confinement, qui s’est retrouvé pris en filature sur le périphérique pour une raison toujours obscure et finalement tué dans sa voiture sur le parking en bas de chez lui à Poissy sous les yeux de ses deux amis (voir RE 194). Le comité de soutien et son frère Leonel ne lâchent rien.
Le collectif « Gwadloup kont violans a jandam » continue de réclamer, images de vidéo-surveillance et rapport d’autopsie à l’appui, la vérité sur la mort de Claude Jean-Pierre après son interpellation par la police en novembre dernier (voir RE 195). 17 orgas politiques, syndicales et associatives l’ont rejoint et toute la Guadeloupe où se sont déroulées de nombreuses manifs attend le résultat de l’enquête qui dure depuis 5 mois.
Le 10 janvier dernier à Nice, durant le couvre-feu, Maïcol 20 ans et un ami font une balade à moto, surpris par une voiture de la BAC, ils ne s’arrêtent pas. La course-poursuite durera 4 minutes, la BAC les suit de très près, avec des pointes à 150 km/h : Maïcol meurt sur le coup. Sa mère et son ami, légèrement blessé, ont porté plainte. Le rapport de l’IGPN remis en mars met en cause la police : une course-poursuite ne peut être motivée que par des faits d’une grande gravité comme la fuite d’un individu armé ou dangereux. Celle qui a valu la mort à Maïcol était donc illégale même si les flics se défendent a posteriori en évoquant qu’il roulait sans permis ni assurance pour sa moto, que son casque était mal attaché… Depuis, les marches pour réclamer justice et vérité se succèdent et une fresque à son image avec le slogan « la mort n’arrête pas l’amour » donne de la force aux habitants du quartier des Liserons.

Non à l’extradition !
Au début des années 80, de nombreux militants de l’extrême gauche italienne, condamnés dans leur pays par un appareil judiciaire d’exception, et souvent sur la base de témoignages de repentis, se réfugient en France. Le 28 avril dernier, 9 d’entre eux, qui ont refait leur vie, étaient interpellés, leur extradition étant réclamée par le gouvernement italien. Depuis l’engagement de l’Etat français par « la parole donnée » de Mitterand, aucun des présidents suivants n’avait accédé à la demande de l’Etat italien, Macron l’a fait !

Lumière(s) pour Sabri
Au lendemain du décès de Sabri, au volant de son moto cross, le 17 avril 2020, le Procureur de Pontoise se précipitait pour affirmer que la voiture de la Bac, ne poursuivait pas le jeune homme, n’avait pas l’intention de l’interpeller « bien qu’il soit sans casque », et qu’enfin il n’y avait eu aucun contact entre le motocross et le véhicule de la BAC. Et le Parquet de Pontoise de classer sans suite… Inacceptable pour la famille qui a déposé plainte avec constitution de partie civile. Il y a beaucoup trop de zones d’ombre : une instruction judiciaire est nécessaire, une reconstitution doit être organisée.
Un an après la mort de Sabri, une Marche pour la Vérité a traversé Argenteuil, avec le soutien de nombreux collectifs de victimes de violences policières, réunis dans le Réseau d’entraide.

Nous sommes tous des malfaiteurs !
À Bure la lutte en résistance à un projet d’enfouissement de déchets nucléaire se heurte depuis des années a une féroce répression de l’Etat. Les 1er, 2 et 3 juin se tenait à Bar-le-Duc le procès de 7 militants anti-nucléaires. L’instruction a bénéficié de moyens considérables, des centaines d’heures d’écoutes téléphoniques, des dizaines de perquisitions, un usage immodéré de balises GPS ou des valises IMSI-catcher pour surveiller toute une population, de quoi amasser un savoir considérable sur les acteurs de la contestation… avec surtout le délit d’association de malfaiteurs, une accusation fourre-tout, à la fois suffisamment large et floue pour facilité l’inculpation mais aussi très lourde en termes de peine. Prêter sa voiture, participer à l’achat de tissu avant une manifestation, avoir ses empreintes sur une bouteille plastique… tout devient présomption de culpabilité, de complicité, et donc de participation à une association de malfaiteurs. Cette criminalisation des luttes vise à paralyser tout un mouvement de résistance en cherchant à instaurer un climat de peur envers toutes celles et ceux qui s’organisent politiquement. Mais aussi en appliquant des sanctions avant même le procès : interdiction de se voir, interdiction dans les faits de manifester, contrôles judiciaires contraignants… « Qu’ils ne se détrompent pas : aucun État, même les plus totalitaires, n’a jamais eu et n’aura jamais raison de cette solidarité instinctive, de cet élan qui est au cœur du fait même de lutter. » Extrait du communiqué du RAJCOL, ou RAJ-Collective, Réseau d’autodéfense juridique collective
https://paris-luttes.info/malfaiteurs-de-tous-les-pays-15072
https://noussommestousdesmalfaiteurs.noblogs.org/




> AGIR

Caisse de soutien de la coordination antirépression Paris IdF
Essayer de tisser une solidarité face à la répression étatique en accompagnant les interpellé.e.s grâce à un collectif d’avocat.e.s de confiance et une caisse de soutien, voilà le principe. Depuis le confinement il est devenu impossible d’organiser des évènements de soutien qui permettaient d’alimenter la caisse. Alors pour soutenir financièrement : https://kutt.it/stoprep

Non au retour du Macccarthysme !
Christel, travailleuse sociale à Saint Nazaire a été victime d’un licenciement politique. Ses employeurs lui reprochent son activité militante 8 mois avant son embauche en faveur des GJ et contre les violences policières. Christel a besoin d’argent pour engager la procédure sur le fond, pour la soutenir : https://www.cotizup.com/soutien-christel