Respecter qui ? Respecter quoi ?

bulletin numéro 212 – du 25 juillet 2023


26 juillet 2023


Respecter qui ? Respecter quoi ?

RESISTONS ENSEMBLE - bulletin numéro 212 – du 25 juillet 2023


Respecter qui ? Respecter quoi ?

Les feux follets apparaissent sur les terrains marécageux où la décomposition des matières organiques produit des gaz inflammables, comme le méthane. Quand la pression est assez importante, le gaz fracture la croûte de terre qui l’emprisonne, jaillit à la surface et souvent s’enflamme, puis, la bulle de gaz épuisée, la flamme s’éteint. Mais le phénomène ne s’arrête pas là, les flammes parcourent alors le terrain d’une manière incontrôlable et imprévisible. Ainsi va la nature, gérée par les lois de la physique et de la chimie.
Les évolutions de la société obéissent au même processus. Vous n’y croyez pas ? Mais regardez, notre société n’est-elle pas un marécage pourrissant ? À l’image des feux follets, elle décompose toutes les valeurs accumulées par l’humanité durant des millénaires. Les flammes des révoltes des vingt dernières années ont réussi à jaillir en brisant la croûte de la répression policière et patronale. Ce n’est pas ce que racontent des larbins du pouvoir aux pieds englués dans le marécage. Non, les révoltes de 2005, les luttes contre la loi Travail de Hollande, l’intrusion décisive des Gilets jaunes, les millions de personnes dans la rue et les blocages face à la contre-réforme des retraites de Macron, le réveil anticapitaliste de dizaines de milliers d’écologistes à Sainte-Soline et finalement la révolte suite à l’exécution à bout portant de Nahel ne sont pas des phénomènes isolés, des cocottes-minute qui explosent sans lendemain et sans laisser de traces. Chacune de ces éruptions, par la chaleur produite, dessèche un peu plus le marécage.
Mais la contre-offensive policière, médiatique et idéologique nous embourbe. L’État tue, mutile, emprisonne au nom du « respect » des institutions républicaines. Faut-il que les plus écrasés, les jeunes des quartiers populaires, respectent ces dernières ? Où est cette fameuse justice, quand rien que ces derniers six mois 289 enfants de migrants se sont noyés dans la Méditerranée, et quand un jeune « pilleur » prend dix mois ferme pour une cannette de Red Bull volée ? Que respecter quand de plus en plus d’écoles de quartiers populaires ne sont que des garderies croulantes sans enseignants, quand les bâtiments publics sont identifiés par les révoltés comme des lieux d’organisation de la répression culturelle, idéologique et policière raciste ? En 2005, ce sont surtout des bagnoles qui ont brûlé, cette fois-ci, d’après les assureurs, ce sont les bâtiments institutionnels qui ont été davantage attaqués et les commerces pillés. C’est la preuve d’une évolution politique, le « sel de la terre » sort des quartiers et investit les centres-ville pour viser l’Etat et ses institutions dont celle de la propriété privée.
Il est heureux de constater que la réprobation de la répression policière et la reconnaissance de la légitimité des révoltes s’élargit dans la population, y compris parmi ceux qui ne sont pas d’accord avec telle ou telle manière de lutter. Alors, si les feux follets s’éteignent ici et là, des canaux souterrains se creusent, reliant les foyers de résistances. C’est ainsi que s’alimente une grosse bulle de gaz qui desséchera complètement le marécage.
Pour l’instant, une tâche immédiate s’impose à nous : continuer à aller dans les tribunaux soutenir ceux qui subissent de plein fouet la justice d’abattage et, plus profondément exiger, comme en 2005, l’amnistie des révoltés !




> [ C H R O N I Q U E D E L ’ A R B I T R A I R E ]

Nahel et Alhoussein abattus par la police
Il avait 17 ans, le matin du 27 juin à Nanterre (Hauts-de-Seine) lors d’un contrôle de la compagnie territoriale de circulation et de sécurité routière du 92. Mais cette fois l’homicide se joue en direct ou presque. Des témoins filment la scène, les images font le tour des réseaux. Impossible pour l’institution de développer sa stratégie d’absolution : salir la mémoire du défunt, discréditer toute émergence de vérité en célébrant la version policière et en déployant l’arsenal juridique, notamment la loi relative à la sécurité publique votée en 2017 qui autorisent flics à ouvrir le feu s’ils jugent avérée la possibilité future d’un risque d’atteinte à la vie d’autrui. Mais là tout s’écroule, la vidéo donne à voir et à entendre la vérité crue, grain de sable qui enraye la machine... la révolte éclate.
La question des violences policières s’invite dans les débats, certaines vérités surgissent, démentant la parole officielle comme lorsque le ministre de l’intérieur Darmanin certifie devant les parlementaires qu’« il y a eu moins de tirs et moins de cas mortels depuis la loi de 2017 » alors que 30 personnes sont mortes dans ces mêmes circonstances depuis la promulgation de la loi contre « seulement » 17 pendant les quinze années précédant et que le nombre de morts entre les mains de la police a explosé (cf. le décompte de Basta ! https://basta.media/le-nombre-de-morts-liees-a-une-intervention-policiere-a-atteint-un-pic-en-2021).
Quelques jours plus tôt, le 14 juin vers les 4h30 du matin à Saint Yrieix-en-Charente (Charente), Alhoussein Camara, 19 ans, qui se levait tous les jour à 4h du mat pour se rendre à son travail, a été tué d’une balle policière sur le chemin, « refus d’obtempérer » ? Des rassemblements, une marche blanche ont depuis eu lieu à Angoulême. Le lendemain de la mort de Nahel, le policier auteur du coup de feu mortel, a été mis en examen pour homicide volontaire, placé sous contrôle judiciaire.
Répression féroce
Le 30 juin à Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle), le RAID est envoyé pour mater les révoltes, équipé de LBD, de grenades, et d’armes de calibre 12 projetant des « beanbags » (un projectile sous forme de sachet de coton contenant de minuscules plombs). Dans le quartier du Val-Saint-Martin plusieurs personnes affirmant ne pas avoir participé aux émeutes témoignent avoir été « prises pour cible » lors de cette nuit « terrifiante ». Aimène Bahou qui se rendait en voiture à une station-service fenêtres baissées est atteint à la tête.En soins intensifs à l’hôpital d’Arlon Il est plongé dans le coma. La procureure a ouvert une enquête en flagrance pour « violences avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique », confiée à l’IGPN.
Dans la nuit du 1er au 2 juillet à Marseille, Mohamed B., 27 ans, est mort, touché par un projectile de « type flash-ball » au thorax. Cette nuit là un dispositif inédit de maintien de l’ordre comptait dans ses rangs la présence du RAID, du GIGN et d’un hélicoptère de la gendarmerie. Mohamed était livreur pour Uber Eats. Sur son scooter au moment de l’impact il est parvenu à rouler jusqu’au domicile de sa mère avant de s’écrouler.
Dans le centre de Marseille la même nuit Hédi 22 ans rejoint un ami, ils sont impressionnés par ce qu’ils décriront comme une « scène de film ». Dans une ruelle ils croisent des agents de la BAC. « On leur a dit bonsoir, mais on a vite compris qu’ils étaient énervés et fermés à la discussion. » En guise de réponse ils reçoivent des coups. L’ami de Hédi parvient à fuir, lui prend un tir de LDB en pleine tête, avant d’être passé à tabac. Abandonné à son sort il trouve la force de marcher, le projectile encore incrusté dans le crane. Des gérants d’une épicerie proche le transportent à l’hôpital. Pour les médecins Hedi est un miraculé. Une enquête à été confié à la police judiciaire de Marseille et à l’IGPN.
Les cas similaires de mutilations en raison de tirs de LBD sont nombreux : Mehdi, 21 ans, dans la nuit du 29 juin à Saint-Denis, Virgile, 24 ans, le 30 juin à Nanterre, un homme de 32 ans le 3 juillet à Angers, deux autres cas évoqués dans la presse (un jeune homme et une mère de famille) et combien d’autres passés sous silence ?

2005/2023 : Bilan croisé des révoltes
Malgré ce qu’a très vite affirmé le pouvoir macroniste, cherchant à criminaliser les « émeutiers » en les faisant passer pour des pilleurs et des casseurs écervelés, les révoltes qui ont suivi la mort de Nahel ont tout à voir avec celles de 2005. L’origine est la même : des morts causées par la police, on notera tout de même qu’en 2005, Bouna et Zyed étaient morts pour avoir cherché à échapper à un contrôle, les flics les ayant laissés griller dans un transformateur électrique pour achever de leur donner une bonne leçon alors qu’en 2023, Nahel est tué à bout portant d’une balle dans le torse. Dans les deux cas, les mots enregistrés des policiers attestent de leur volonté de tuer ou de laisser mourir. Certes cette fois le mouvement n’aura duré qu’une semaine mais il est apparu d’emblée plus organisé et coordonné et a été davantage soutenu : alors qu’en 2005, la gauche, à l’exception des Verts, s’était très vite alignée sur les positions sécuritaires de la droite au pouvoir et l’extrême-gauche s’était murée dans un silence fracassant, cette fois, la marche pour Nahel du 29 juin a rassemblé plusieurs milliers de personnes dont de très nombreux militants, plusieurs tentatives spontanées de manifestations de solidarité ont eu lieu dans les centres des grandes villes et l’extrême gauche, les syndicats et les associations pour les droits humains ont soutenu les appels aux marches interdites contre les violences policières (voir ci-dessous). A noter cependant qu’en 2023, la police fait front avec l’extrême droite pour soutenir les flics tueur et massacreurs : communiqué de syndicats policiers appelant au « combat par tous les moyens contre ces nuisibles », cagnotte en ligne, haie d’honneur devant le tribunal, grève du zèle des policiers et déclaration du directeur général de la police pour demander la libération du flic marseillais en détention provisoire. Côté policier, alors qu’en 2005, au plus fort de la crise, 11 500 policiers et gendarmes étaient mobilisés, aucun afflux de personnes blessées n’a été constaté dans les hôpitaux, cette fois, dès les premiers soirs, les flics sont 45 000 dont 10 000 seulement en idf et la répression est bien plus féroce faisant même un mort (voir ci-contre). Côté judiciaire, on comptait en 2005, 5 200 interpellations, 4 400 GAV, 600 personnes emprisonnées, la plupart suite à des comparutions immédiates ; au 20 juillet 2023, Dupont-Moretti se vante déjà d’avoir obtenu la condamnation de 95 % des 1 278 personnes déjà jugées, 742 d’entre elles à de la prison ferme pour une moyenne de 8,2 mois. Et ce n’est pas fini puisque les jugements sont en cours au moins jusqu’en Août. Là encore la solidarité avec les emprisonnés est plus apparente : la présence de soutiens dans les tribunaux a permis la publication de nombreux CR (par exemple https://paris-luttes.info/des-rats-vous-inquietez-pas-ca-va-17272).

Interdiction des marches contre les violences policières
Motif invoqué par Darmanin : « toute manifestation en lien direct avec les émeutes doit être interdite ». Après la marche pour Nahel à Nanterre le 29 juin et la marche pour Monzomba, jeune homme de 28 ans qui est mort le 4 juin après avoir été pris en chasse, sur sa moto, par une voiture de police, qui a rassemblé 200 personnes à Sarcelles le 5 juillet, toutes les initiatives dénonçant les violences policières ont été supprimées : annulation sous la pression de la soirée dans le 20ème pour Safiatou, Sakif et Ilan (voir RE 211) puis interdiction de la marche annuelle pour Adama prévue le samedi 8 juillet à Beaumont-sur-Oise. Un appel à déplacer la manifestation place de la République à Paris le même jour a été lancé ; déclaré illegal, il a tout de même regroupé plus de 2 000 personnes. Les policiers ont verbalisé en masse, ciblant ceux qui portaient des t-shirts Adama. Une procédure judiciaire a été engagée contre Assa Traoré pour organisation d’« une manifestation non déclarée ». Son frère Youssouf, et un autre membre du Comité Adama ont été violemment interpellés par la BRAV-M. Le 15 juillet, nouvelle interdiction d’une marche à l’appel de la coordination contre les violences policières rassemblant de nombreux collectifs vérité et justice soutenus par des associations et des syndicats. Une réunion a rassemblé plus de 1 000 personnes dans un gymnase du 20ème. Les participants ont fait le constat d’une violence et d’un racisme systémique de la police et déroulé des revendications : suppression de l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure, interdiction des techniques d’immobilisation, mais aussi suppression de l’IGPN à remplacer par une instance indépendante.

De l’antiterrorisme comme police politique
Le 10 décembre 2022 une usine du cimentier Lafarge située à Bouc-Bel-Air, parmi les sites les plus polluants de France, était « désarmée » par quelques 200 militants écologistes. Ce fût le prétexte à une série d’arrestations dans toute la France les 5 et 20 juin 2023 diligentées par la Sous-Direction Anti-Terroriste (SDAT) et la section de recherche de la gendarmerie de Marseille. Porte défoncée au petit matin, 32 personnes en garde à vue, jusqu’à 96 heures, pour certains dans les locaux de la police antiterroriste… tout les militants arrêtés ont été libérés après de longs interrogatoires. Deux ont été mis en examen le 11 juillet pour « association de malfaiteurs », « dégradations en bande organisée », et « destruction d’engins de chantier ».
Si ces méthodes déjà utilisées pour poursuivre en 2017 les militants antinucléaires à Bure avaient alors capoté (qualification abandonnée, relaxe…), cette fois la répression a franchi un cap avec les interdictions de manifester, la répression ultra violente qui a suivi à Sainte-Soline, la dissolution des « Soulèvements de la terre  ».

Encore des mutations forcées
Les autorités appellent ça « mutations dans l’intérêt du service » : il s’agit de déplacer des profs jugés trop critiques en prétendant qu’il ne s’agit pas d’une sanction, de manière à briser la solidarité. Début Juillet, Christine Gorce et Frédéric Salvy, prof et CPE depuis des décennies au lycée Victor Hugo de Marseille, en ont fait les frais. Le pouvoir leur reproche de s’être opposés (en tenant une banderole ou encore par leur vote au CA) à leur proviseur maltraitant qui a tenu des propos racistes à l’encontre d’élèves. Leurs collègues ont déposé un préavis de grève reconductible pour la rentrée, mais à quand une réaction massive contre la répression et le harcèlement dans l’éducation nationale ?




> [ A G I R ]

Prochaine mobilisation de solidarité envers les sans-papiers, le 26 août 14 heures place de la République pour l’anniversaire de Saint Bernard.