mai 2004


CANNES : Témoignage d’une journée insensée

Mon premier face à face réel et physique avec cette police et ce gouvernement qui nous surveillent...


CANNES : Témoignage d’une journée insensée

Mon premier face à face réel et physique avec cette police et ce gouvernement qui nous surveillent...

Samedi 15 mai, 13h, j’arrive en gare de Cannes après quelques longues et interminables heures de train, afin de rejoindre et soutenir mes compatriotes intermittents du spectacle.

13h30, j’arrive au théâtre "les mutilés" ( ils n’auraient pu choisir meilleur théâtre pour nous loger...), dans le quartier populaire (et oui, il y a bien deux mondes à Cannes...). Là-bas, je fais connaissance avec les différentes CIP (Coordinations des Intermittents et Précaires), les gens préparent la manif de 15h avec rigueur et conviction, même si une légère atmosphère d’appréhension se fait sentir, ils s’entraident et accueillent les nouveaux arrivants venant de la France entière et même de l’Italie...

14h00, départ vers la Croisette pour rejoindre les intermittents déjà sur place. Nous les retrouvons sur la plage en pleine discussion. Tout semble organisé et prêt.

15h, nous nous rangeons gentiment derrière le camion sono pour pouvoir commencer la manifestation.

Après quelques présentations de différentes personnes venu nous encourager, tel Mikaël Moore et notre José Bové national, nous commençons notre marche vers le palais.

La manifestation se passe sans problèmes, les gens restent d’assez bonne humeur, des comédiens font même quelques scènes et pas de danse...

Nous nous rapprochons du palais et là, sommes bloqués par un mur de CRS, ce qui ne nous étonne pas vraiment.

Quelques intermittents étant partis faire une "action" au théâtre "STAR" (cinéma du marché du film), rue d’Antibes, ( action qui consistait à entrer dans les salles de cinéma, faire un discours sur les enjeux, les pourquoi et les comment de notre présence afin d’informer les gens, le public en d’autres mots), je pars les rejoindre.

17h, lorsque j’arrive au cinéma, j’apprends que tout se passe pour le mieux, les spectateurs ont écouté nos porte- paroles et sont partis assez calmement du cinéma, quelques uns en nous encourageant.

Nous restons encore quelques temps sur place afin de continuer la diffusion d’informations pour une 2e et dernière séance, nous asseyons tranquillement et commençons à discuter entre nous et avec le personnel du cinéma, sous l’œil "bienveillant" de deux membres des RG.

Vers 17h30, nous entendons du bruit venant de l’extérieur. Nous nous levons et apperçevons, ce que nous croyons apparemment être des spectateurs venant pour la 2e séance de cinéma.

Gentiment, nous leur disons que la séance est annulée et qu’il faudra attendre un peu.

Nous revenons à nos places, et là, le remue ménage extérieur s’intensifie et laisse apparaître une trentaine de CRS armés de matraques. De derrière la vitre, nous leur faisons part des raisons de notre action pacifique dans le cinéma. Les CRS commencent à se bousculer et par plusieurs coups de matraques brisent la vitre du cinéma.

Nos "spectateurs" rentrent ( vous l’aurez deviné, c’était des policiers en civil, mais sans brassards !), suivis des CRS. Je suis dans le renfoncement d’un mur et je regarde ahurie le spectacle qui s’offre à moi...

Les policiers et les CRS attrapent les gens, les jettent, les traînent, les frappent, certains sont à terre, les CRS et les policiers continuent à cogner. Mon cour fait des bonds, j’ai peur, la vraie peur, celle qui coupe le souffle et qui nous donne l’impression que notre heure est arrivée. Mes amis se font cogner, et avec quelle violence...

C’est à mon tour, 5 CRS s’approchent de moi, je tremble, je leur dis que je vais sortir, qu’il faut qu’ils arrêtent de frapper ainsi les gens, qu’ils n’ont rien fait... Je ne sais plus si j’ai parlé, si les mots sont sortis de ma bouche ou si le simple fait d’être CRS suffit, car je me suis fait soulever, molester et balancer dehors comme tous les autres.

Dehors, une 30taine d’intermittents, des amis, lèvent les bras au ciel (notre signe de "ralliement"), crient qu’ils ne veulent pas de violence, qu’ils sont pacifiques et qu’ils ne sont pas là pour se battre, mais tout à coup on entends un policier crier et tous, en un bloc, se jettent matraques aux poings sur eux.

Après j’ai un trou, je me souviens des cris, du sang, de l’italien qui après s’être fait frapper se fait balancer contre un camion de police et retombe sur le sol dans une marre de sang, les yeux clos à mes pieds.

Une demie heure passe.

Puis on m’appelle, mon ami est blessé, on s’est retrouvé séparé dans le cinéma, les copains bloquent l’ambulance le temps que j’arrive pour les rejoindre. Les images défilent dans ma tête, et les cris continus, aussi graves qu’aigus, pas de distinction de sexe pour les CRS.

Je passe 2h30 aux urgences, il va mieux, il a des coups et est pas mal sonné, comme nous tous. Puis surtout en colère, dans l’incompréhension totale d’une telle injustice, de cette violence intolérable, de cet épisode quelque peu surréaliste que nous venons de vivre.

Quelques ambulances se succèdent, nous voyons arriver 4 autres de nos "collègues" dont l’italien.

Nous sommes rentré au théâtre vers 20h, et là bas avons appris que 7 d’entre nous avaient été incarcérés. Les autres étaient allés au commissariat en soutien, mais une fois de plus les CRS et policiers ne s’étaient pas montrés des plus accueillants, avaient encore frappé et, grossière erreur, cogné et menotté un journaliste de France 3. Plusieurs autres journalistes ont été molestés, dont un anglais, un américain ( aujourd’hui nous avons fait la une du journal « Hollywood Planet » aux Etats-Unis, en 36 ans de carrière il n’avait jamais vu ça), un canadien, un danois ( qui nous a juré que ça ne se passerai pas comme ça et qu’une fois rentré dans son pays il porterait plainte et montrerait ses pellicules afin que les gens voient à quel point la France avait changé et sa police devenue fasciste).

Nos compatriotes ont été libérés quelques heures après sur ordre du préfet, qui commençait à sentir que les choses sentaient mauvais pour lui et sa police... Deux policiers ont été mis à pieds .

Le préfet s’est excusé pour les journalistes molestés. Et nous ?.

Ce matin, tout le monde était là, une amie, guitariste de métier, qui se trouvait à côté de la vitre lorsque les CRS l’ont brisée, 7 points de sutures à la main et au poignet, on ne sait pas si les tendons sont touchés ; même l’Italien, avec un nez cassé, un traumat, une minerve, et qui était heureux de revenir dans notre théâtre retrouver tout le monde et manger un morceau.

Voilà, c’était juste quelques mots pour essayer de vous montrer à quel point la violence devient maîtresse quand les gens se "battent" pour ce qu’ils croient juste, pour garder nos acquis sociaux, que nos grands-parents ont réussis à avoir et faire valoir à force de persévérance, et qui mourraient sûrement une deuxième fois en voyant ce qui se passe réellement en Francemaintenant.

Après tout ça, nous continuerons quand même à manifester dans le calme et toujours pacifiquement.

Ce soir encore, à côté des marches du palais de Cannes, nous étions là, les bras tendus vers le ciel, quelques affiches à la mains pour montrer notre désaccord avec ce protocole de l’UNEDIC qui nous met au chômage les uns après les autres. Bien sûr, les CRS sont revenus et nous ont encerclé pour nous faire reculer...