19 septembre 2005


Deux écrivains face à la justice

Verdict dans l’affaire Brice Petit


Témoignage de Jean-Michel Maulpoix
Ce texte est présent sur son site, à l’adresse :
http://www.maulpoix.net/justice.htm



Deux écrivains condamnés en première instance le 31 août par le tribunal de
Montpellier à 6000 euros d’amende et de frais de justice pour avoir diffusé
un témoignage sur des violences policières.

La scène, hélas, est devenue presque ordinaire : un citoyen assiste par
hasard dans la rue à l’une de ces interventions policières que l’on dit "
musclées " : S.D.F à terre, le visage en sang, badauds aux fenêtres et
forces de l’ordre aux abois. Indigné par tant de violence inutile, il juge
opportun de dire tout haut ce qu’il en pense, avec calme, mais fermeté.
Comme il refuse de " circuler ", on le menotte, on l’embarque au
commissariat, on le fouille au corps, il passe la nuit dans une cellule sur
une planche en bois. Au matin, on l’inculpe pour outrage à agents, non sans
le " charger " au passage pour des insultes qu’il se défend d’avoir
prononcées.

C’est ce qui est arrivé, le 28 avril 2004, à l’écrivain Brice Petit,
directeur de la revue Moriturus , jeune professeur agrégé de Lettres,
apprécié de sa hiérarchie pour son sérieux et sa rigueur.

Dès le lendemain, de retour chez lui, il rédige un compte rendu acéré des
faits qu’il diffuse par mail à ses amis et connaissances. Un collectif se
constitue, qui appelle à soutien.

Recevant, comme des centaines d’autres, ce témoignage si troublant, j’ai
décidé spontanément de le publier, tel quel, sur mon site web
(http://www.maulpoix.net), pour contribuer à le faire connaître. Sans se
concerter, une vingtaine d’autres sites font de même.

Quelques mois plus tard, sans que le moindre avertissement préalable me soit
parvenu, je me suis vu brutalement cité à comparaître, ainsi que Brice
Petit, pour diffamation. L’un des policiers mis en cause avait découvert par
hasard sur internet le texte où figurait son nom : à titre de document, pour
appuyer ses dires, Brice Petit avait cru bon de faire figurer l’intégralité
du procès verbal dressé à son encontre, sans biffer le nom des trois
fonctionnaires ayant déposé contre luiS

L’affaire a été jugée le 9 juin 2005 et le verdict vient juste de tomber :
Brice Petit est relaxé du grief d’outrage, mais condamné, ainsi que
moi-même, pour diffamation, à 3000 euros d’amende et de frais de justice.
Cruelle et curieuse sentence, qui tout à la fois désavoue et ménage la
police ! Les témoignages convergents cités à l’audience par la défense de
Brice Petit auraient-ils semé le doute dans l’esprit des juges ?

Les policiers font appel, désireux sans doute de sanctions plus lourdes et
de " compensations " financières plus substantielles. Le parquet suit, bien
qu’il eût demandé à l’audience des peines moins sévères que celles
prononcées. Pot de fer contre pot de terre, quel espoir le combat juridique
qui s’engage laisse-t-il à ceux qui n’ont cherché à humilier perso nne mais
simplement voulu faire preuve d’un esprit de responsabilité et de
solidarité, en rapportant des faits singuliers dans le seul but d’inciter à
la réflexion commune ?

Ceux qui visitent régulièrement mon site web afin d’y recueillir des
documents critiques sur la poésie moderne et contemporaine savent sans doute
qu’il n’a rien d’un brûlot et que l’esprit de mesure y prédomine. (Je n’y ai
d’ailleurs laissé en ligne que très peu de temps ces pages.)

S’il me faut expliquer à nouveau ce geste d’engagement soudain, je dirai
simplement que pour un intellectuel la légitime révolte contre les abus de
pouvoir, ainsi que l’esprit de solidarité sont parfois plus forts que la
frilosité.

C ’est l’honneur de ceux qui écrivent et publient que de ne pas passer sous
silence des témoignages où leur propre pratique assidue de la lecture, de la
critique et de l’écriture, en vient à discerner des accents de sincérité et
de vérité assez convaincants pour qu’il soit alors de leur devoir moral de
les faire connaître.

En rendant son étrange jugement, le tribunal n’a-t-il paradoxalement donné
raison au point de vue dont il sanctionne la mise en forme ? En relaxant
Brice Petit du grief d’outrage, il semble laisser entendre que le texte
accusé d’être diffamatoire a grande chance de rapporter la vérité des faits
 ! Comment peut-on affirmer qu’il y a diffamation, lorsque plane un doute
sérieux et lorsque ceux qui portent plainte apparaissent susceptibles
d’avoir exagéré ou menti ?

N’est-ce pas la liberté d’expression, le devoir moral d’engagement, l’esprit
de solidarité et de responsabilité que frappe par contrecoup ce jugement ?
N’y a-t-il plus de place dans notre société pour autre chose que la dureté
inflexible de la loi ?

Nous savons que la société reconnaît aux journalistes un droit à la
diffusion de l’information et à son commentaire. Cela confère à leur action
la force d’un contre-pouvoir salutaire. Les médias auxquels ils sont liés
par contrat les protègent. Leur carte de presse est un précieux sésameS Rien
de tel pour l’écrivain devenant à l’occasion " webmaster " : il fait seul
ses choix, sans protection ni secours. Ni jurisprudence, ni structures
éditoriales, ni association, ni société de presse ayant pignon sur rue ne le
garantissent des rigueurs juridiques. Il agit selon son esprit de
responsabilité propre, en s’en remettant à son jugement perso nnel et à son
intime conviction. Il n’a, pour se défendre, que sa plume et son clavier.

Les réflexions auxquelles invite ce pénible procès outrepassent largement
l’affaire en cause et ses protagonistes.

C’est pourquoi j’appelle toutes celles et tous ceux qui ne restent pas
insensibles à cette cause à manifester à la fois leur inquiétude et leur
soutien.

Jean-Michel Maulpoix
Le 9 septembre 2005
infos@maulpoix.net