17 novembre 2005


Les tribunaux lyonnais s’enflamment

Témoignage de comparutions immédiates


Si on ne peut pas reprocher quelque chose aux juges lyonnais,
c’est leur pingrerie... en matière de distribution de prison
ferme. État d’urgence prolongé, justice d’exception au
quotidien... Jusqu’où irons-nous ?

Récits de procès en comparution immédiate qui se sont tenus
lundi et mardi 13 et 14 novembre à Lyon au "Tribunal de Grande
Instance", suite à la révolte des quartiers :
- Trois mois ferme pour incendie de déchets à Villeurbanne
- Trois mois ferme pour l’incendie supposée d’une poubelle à St
Priest
- Six mois ferme pour Julien (St Genis-Laval)
- Deux mois ferme pour un jet de pierre place Antonin Poncet
(Bellecour) qu’on lui colle sur le dos
- Une jeune fille de 18 ans se prend quant à elle 4 mois ferme
pour avoir retardé les touristes et les hommes d’affaires de
l’aéroport de Saint Exupéry, avec une fausse alerte à la bombe.

Chirac reste toujours en liberté.

Ce type de témoignage est très important. Merci de nous faire
remonter les infos si vous assistez à des séances au tribunal
sur Lyon.

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Trois mois ferme pour incendie de déchets à Villeurbanne

Mardi 14/11/2005, 14h40, chambre des comparutions immédiates, tribunal
de grande instance de Lyon.

Jean Michel P. est jugé pour « dégradation de bien mobilier, une
poubelle, par incendie ». Il est en garde à vue dans une cellule de
commissariat depuis la nuit du jeudi 10 novembre.

Il reconnaît les faits qui lui sont reprochés : il a été surpris la tête
dans une poubelle par la police. Il a l’habitude de faire les poubelles
pour y chercher des affaires ou des mégots. La police affirme avoir vu
un homme et à proximité, de la fumée sortir d’une poubelle ; la voiture
de police s’est approchée discrétement en coupant le moteur de celle-ci
et a interpellé l’homme après que celui-ci ait tenté de s ’enfuir. Les
policiers ont saisi un briquet tombé de sa poche lors de la fuite. Jean
Michel reconnaît avoir mis le feu à des détritus et avoir fui lorsque la
police s’est approchée. Ivre, il a mis le feu aux déchets sans trop
savoir pourquoi.

Jean Michel a 38 ans, 3 enfants dont il n’a pas la charge mais qu’il
voit tous les samedis par le biais d’une association. Il est au chômage
technique depuis 1 an, ne retrouve pas de travail et vit du RMI.

Le procureur déclare que « les violences urbaines existent », qu’il « ne
peut pas ne pas en tenir compte et que dans le contexte actuel, la
justice doit être ferme ». Il note que cette personne a besoin d’aide et
demande 4 mois de prison dont 2 fermes.

Son avocate rappelle que Jean Michel est le seul lien familial avec ses
enfants, que leur mère est partie depuis 5 ans, qu’une condamnation
ferme serait « une descente aux abîmes » pour son client. Elle plaide la
clémence par rapport aux demandes de fermeté formulées par le procureur
de la république et recommande une simple obligation de soins.

L’audience se termine à 14h55.

Après délibération, Jean Michel, seul lien familial avec ses 3 enfants,
est condamné à trois mois de prison ferme pour avoir essayé de mettre le
feu aux détritus, dans une poubelle qu’il ouvre régulièrement pour
ramasser des affaires ou des mégots.




Trois mois ferme pour l’incendie supposée d’une poubelle à St Priest

Lundi 13/11/2005, chambre des comparutions immédiates, tribunal de
grande instance de Lyon.

Gregory F. a 19 ans. Il est en garde à vue dans une cellule de
commissariat depuis le vendredi 11 novembre.
Le tribunal l’ « accuse de destruction de biens immobiliers en
l’occurence deux poubelles par incendie ».

Les faits : à minuit vingt, la police s’est rendue dans une rue de St
Priest pour un feu de poubelles ; Gregory et un mineur (absent au
procès) sont interpellés à proximité du feu. Un témoin affirme avoir vu
ceux-ci rentrer dans le local à poubelles. Peu après, une poubelle
brûlait à l’extérieur des bâtiments.

La procureur affirme que six heures auparavant Gregory était avec des
amis à la station Total de St Priest ; des policiers se sont rendus sur
place suite à l’appel de la gérante pour un problème de remplissage de
bidons d’essence. Face à G et ses amis, un policier a entendu « ça va
chauffer ce soir ».

Son avocat précise qu’il ne s’agissait pas de deux poubelles brûlées
mais d’une seule brûlée pour la deuxième fois ; que cette poubelle a
brûlé à l’extérieur des bâtiments. Il précise aussi qu’après
vérification, la gérante de la station a appelé la police non pas pour
un problème de bidon d’essence mais pour un problème de règlement de
carburant super avec une carte Total pour le gazole. Il n’est passé
qu’une seule fois devant la justice pour une affaire de recel qui date
de près de deux ans.

Gregory est sérieux, il a terminé un stage en rapport avec sa formation,
il a une promesse d’embauche comme le confirme la lettre de son
employeur. Il nie les faits dont le tribunal l’accuse et précise que la
distance qui sépare le témoin du lieu de l’incident est de 300 m et
qu’il faisait nuit.

La procureur invoque que « le sursis n’est plus possible » et requiert 4
mois ferme dont un ou deux en sursis.

Le tribunal condamne un jeune homme de 19 ans qui n’a jamais été en
prison à 3 mois ferme de détention pour destruction d’une poubelle par
incendie.

Tous ses amis présents dans la salle d’audience se lèvent en même temps
et sortent bruyamment, dégoûtés de l’injustice qui vient d’être rendue.




Six mois ferme pour Julien (St Genis-Laval)

Lundi 13/11, 15h15, chambre des comparutions immédiates, tribunal de
grande instance de Lyon

Julien C. est en garde à vue dans une cellule de commissariat depuis le
vendredi 11 novembre ; il est « accusé de détention de substances ou
d’engins explosifs, en l’occurence un cocktail molotov, et de
dégradations de bien immobilier par incendie, une laguna, une picasso et
une 205 ». Les faits se seraient produits dans la nuit du 8 au 9
novembre 2005 au lieu-dit Maison Pointue.

La police a vu la voiture de Julien C. circulant et s’arrêtant à
proximité d’un commerce, puis le conducteur descendre et une autre
personne l’a rejoint. Un objet a été déposé devant la grille du magasin
(une bouteille plastique contenant de l’essence) affirment les forces de
l’ordre. A coté, sur le lieu dit Maison Pointue, des voitures flambent.

Les gendarmes sont venus chercher le prévenu chez lui et ont
perquisitionné sa voiture suite à l’audition d’un deuxième personnage
[mineur et absent] interpellé précédemment. Un bidon de diesel, un bidon
vide et un entonnoir sont retrouvés dans la voiture de Julien.

Un témoin affirme avoir vaguement vu deux personnes se dirigeant depuis
la voiture de Julien vers le parking où les voitures ont brûlé.

Julien reconnaît avoir arrêté sa voiture, en être descendu, pour
rencontrer le deuxième personnage, qui était le propriétaire de la
bouteille ; il reconnaît avoir assisté à la scène de mise à feu mais nie
y avoir participé : « Je ne voulais rien faire ce soir là » dit-il, « je
suis resté en dehors de la résidence où les voitures ont flambé ». La
procureur demande à Julien pourquoi n’avoir rien dit à l’autre personne
lors de la mise à feu ; Julien répond : « Je n’ai rien fait parce que je
veux m’en sortir. Tout ce que je demande c’est qu’on m’aide pour mon
avenir ».

Julien a 20 ans et habite Oullins. Il est issu d’une famille de huit
enfants et vit chez sa mère. Il a une formation d’électricien et
travaille en intérim quand il trouve du travail. En raison des
nombreuses indemnisations qu’il doit payer, 300€/mois pour des faits
déjà jugés, il rencontre des difficultés financières au quotidien. Le
prévenu a regardé le mur derrère le tribunal pendant presque tout son
procès ; il pleure lorsque l’avocat parle de lui comme « un enfant un
peu perdu », qui a fait une tentative de suicide 15 jours auparavant. Au
niveau sentimental il fréquente une amie depuis quelque temps et pense
que ça l’aide à se « stabiliser ». Pendant son procès le prévenu
répétera souvent qu’il veut s’en sortir, il demande de l’aide au juge.

Une fois les parties civiles venues demander un dédommagement pour
préjudice moral et certains le remboursement de la valeur de leur
véhicule, la procureur prend ses requisitons : « 4 voitures brûlées,
participation à la diffusion de la peur en France et aux malaises des
banlieues alors que le prévenu est en cours de mise à l’épreuve », la
procureur « demande 6 à 8 mois ferme et le maintien en détention ».

A 15h50, le procès est fini.

Le tribunal juge le jeune homme coupable de récidive légale et coupable
des faits qui lui sont reprochés. Le jeune homme qui n’a jamais été en
prison est condamné à six mois de prison ferme. Une dette supplémentaire
viendra sûrement allourdir son difficile quotidien financier après sa
sortie de prison. Sa famille et ses amis, venus le soutenir, sont
abattus.





Deux mois ferme pour un jet de pierre place Antonin Poncet (Bellecour)
qu’on lui colle sur le dos

Lundi 13/11/2005, 14h15, tribunal de Grande Instance de Lyon, chambre
des comparutions immédiates :

Il est 14h15 : Yanès G., 18 ans, mexicain et étudiant en France depuis 1
mois, est accusé de violence ayant entrainé une ITT inférieure à 8 jours
sur un fonctionaire de police avec usage d’une arme ; en l’occurence des
pierres. Il est en garde à vue dans une cellule de commissariat depuis
samedi.

A 19 heures, le samedi 12 novembre, place Antonin Poncet, un groupe de
personnes fait face à des unités de CRS. Après que des pierres aient été
jetées, les CRS se rapprochent du groupe de personnes. Des policiers en
civils sont présents. Les CRS avancent, le groupe se disperse.

Yanés se ballade avec des amis dans la rue quand ils sont surpris par le
mouvement de foule et décident de se mettre à l’abri. C’est à ce moment
que Yanés est "marqué" ; c’est à dire qu’un policier en civil lui tire
dessus une balle marquante qui fait une tache verte sur son blouson et
indique au reste des forces de l’ordre qu’il est à interpeller.

Ses amis qui détiennent une caméra vidéo filment la scène ne comprenant
pas le sens de cette "peinture". Les policiers viennent ensuite
interpeller Yanés qui est accusé d’avoir été vu en train de lancer des
pierres sur les forces de l’ordre, puisqu’il est affublé de cette
peinture verte, et d’avoir fui, alors qu’il est toujours resté avec ses
amis. Il est mis en garde à vue jusqu’au lundi après-midi.

Devant le tribunal, Yanès nie aussi bien d’avoir jeté des pierres que
s’être enfui à la vue de la police, au contraire, il s’est mis à l’abri,
sans bouger.

La procureure affirme que la caméra sert à filmer des échaufourrées et
pense de ce fait que Yanès est coupable.

En garde à vue Yanès n’a pas signé sa déposition : il est mexicain en
France depuis un mois et ne parle pas français, un fonctionnaire de
police a servi d’interprète lors de son audition... Pendant le procès,
c’est un interprète dépêché par la justice qui l’assistera.

A 15h00, fin du procès.

Après délibéré, le tribunal décide de la nullité de la garde à vue, mais
ce qui est très étonnant, le tribunal, cependant, le considère coupable
des faits reprochés : il est condamné à deux mois de prison ferme. Au vu
de la nullité du jugement, il n’y a pas d’application du mandat de
dépot.

C’est à dire que Yanès est libre suite à l’erreur de procédure
[l’absence d’interprète pendant son audition] même si la justice le
considère coupable : il aura une modulation de peine décidée plus tard
par le juge d’application des peines (semi-liberté, TIG, jour-amende,
bracelet électronique...).