« Big data is watching you »

bulletin numero 140 - avril 2015


11 avril 2015


« Big data is watching you »

RESISTONS ENSEMBLE / bulletin numéro 140 / avril 2015


« Big data is watching you »


Depuis les attentats de janvier, la machinerie de l’État s’affole et l’opinion publique suit (voir RE 139). Un exemple ? Défense de rire. Ça s’est passé le 8 janvier, dans un café, en France. La télé est allumée pendant la « minute de silence républicaine ». Trois consommateurs ne respectent rien, ils rigolent. Le patron prévient la police. S’ils échappent à la mise en cause pour « apologie du terrorisme »… c’est grâce, pour une fois, aux caméras de vidéosurveillance qui prouvent qu’ils avaient rigolé parce qu’ils venaient de gagner au « grattage ». Ce mois-ci on a aussi appris que le prof de philo de Poitiers suspendu pour avoir organisé des débats dans ses classes, pourtant mis hors de cause par la justice qui a constaté que les phrases incriminées n’avaient pas été prononcées, a malgré tout été sanctionné par l’éducation nationale : il a perdu son poste et été muté sur une zone lointaine de son lieu d’habitation en raison de propos « inappropriés ». Mais, ce n’est que le hors-d’œuvre. Le pouvoir de « gauche » prépare les plats de résistance en construisant les outils d’un autoritarisme décomplexé.
Le « Patriot Act » à la française est dans les tuyaux. Le 19 mars le conseil des ministres examinait un nouveau projet de loi relatif au renseignement. Après la loi de programmation militaire de décembre 2013 et la loi antiterroriste de novembre 2014 tout juste démoulées, ce sera la troisième loi sécuritaire sous le gouvernement PS de Hollande. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, et de protection des individus, ce texte veut développer les moyens de surveillance, en légalisant les pires pratiques policières et en multipliant les moyens : caméras, enregistreurs, logiciels espions, balises… Dans la droite ligne des lois précédentes, elle envisage d’élargir les champs d’action déjà flous (notamment à la « prévention des violences collectives »), en s’exonérant du contrôle judiciaire, on n’a même plus besoin de l’accord d’un juge.
Un des gros morceaux annonce la surveillance de masse des internautes. Il s’agira d’analyser les « métadonnées » (c’est à dire les informations qui caractérisent un fichier quel qu’il soit, en dehors de son contenu : qui contacte qui, à quelle fréquence, quels sites sont visités, quel centre d’intérêt, etc.), et ce de manière automatique à l’aide d’algorithmes. Le gouvernement prétend construire un monde sécurisé, en décelant les « comportements suspects » pour mieux éradiquer « l’anormalité ». On nage en plein fantasme puisqu’on prétend maîtriser jusqu’à ce qui n’est que potentiel, mais cette exploitation du « big data » à des fins de renseignement annonce une volonté claire de contrôle total. Ça ne fait pas tout, mais l’amorce est là, ouvrant un boulevard aux dictatures en herbe.



Bouna et Zyed : on n’oubliera jamais !
Le procès des 2 flics impliqués dans leur mort s’est tenu du 16 au 20 Mars au tribunal de Rennes dans le but de l’éloigner de la Seine Saint Denis et d’ainsi mieux assister l’État dans ses efforts pour gommer l’événement de la mémoire collective. Mais, même dix ans après, nous n’oublions pas Bouna Traoré et Zyed Benna, qui, par peur d’un contrôle policier, se sont enfuis et réfugiés dans un transformateur EDF où ils sont morts brûlés alors que les flics qui les poursuivaient n’ont rien fait pour leur porter secours. Qui pourrait les oublier alors que la nouvelle de leur mort avait embrasé d’émeutes et d’affrontements avec la police les quartiers populaires à travers tout le pays et pendant près d’un mois ? Qui pourrait oublier l’isolement politique dans lequel ont été cantonnés ces jeunes révoltés qui ont tout risqué pour alerter le monde entier sur la situation de relégation, de misère et de stigmatisation qui est la leur ? Tout cela le procès n’a pas pu le rappeler : interdiction pour les familles des victimes et leurs avocats d’évoquer autre chose que les strictes circonstances de la mort de leurs enfants. Mais les avocats des policiers en cause (Sébastien Gaillemin qui avait vu les jeunes garçons enjamber la barrière et avait déclaré « ne pas donne(r) cher de leur peau s’ils sont entrés sur le site » et sa collègue standardiste Stéphanie Klein qui l’avait écouté sans broncher) n’ont pas hésité à dénoncer « la pensée conspirationniste et pathologique », la « toxicomanie de la haine » des familles des victimes. La meilleure défense qu’ont trouvée les victimes s’est jouée dans la rue : les Rennais solidaires ont organisé tous les midis des repas-discussions sous une tente plantée devant le tribunal et bravé l’interdiction de manifester brandie par le préfet, en bloquant le centre-ville tout le mercredi après midi. Verdict le 18 mai : encore une occasion d’empêcher l’oubli.

Dernière minute
Une série de manifestations seront organisées à l’initiative des familles des victimes de la police et des collectifs de soutien. Le 18 mai, jour du délibéré, rassemblement devant les tribunaux de Rennes à 14h30, de Bobigny en Ile de France… Appel, infos, témoignages sur le site disponible à partir du 15 avril : www.zyed-bouna-18-mai.com.

Meurtre de Lahoucine : un moment important de la lutte
On se souvient de Lahoucine tué de 5 balles par trois policiers, il y a 2 ans à Montigny-en-Gohelle (62). Ces policiers disent avoir agi en légitime défense. Pourtant, on comprend mal comment 3 policiers ne sont pas arrivés à maîtriser une personne seule, sans la tuer. Pour la famille comme pour l’avocat, il reste de nombreuses zones d’ombre. Pour le moins, une reconstitution des faits s’imposerait. Pourtant, la juge d’instruction la refuse, ce qui est très rare.
La famille a fait appel de cette décision et une manifestation a eu lieu le 14 mars, de Montigny au commissariat d’Hénin-Beaumont pour exiger cette reconstitution. Une belle réussite : 350 manifestants, 2 ans après les faits, ce n’est pas courant. Il faut signaler un soutien important : la présence des familles d’autres personnes tuées par la police dans des circonstances plus que douteuses : Amine Bentounsi, Wissam El Yamni, Abdouramane Camara.
La cour d’appel s’est réunie le 19 mars pour décider s’il y aura reconstitution ou non. La décision a été mise en délibéré au 9 avril.



> [ C H R O N I Q U E D E L ’ A R B I T R A I R E ]


Semaine anti-répression à Bordeaux – Un bilan
Du 14 au 26 mars, le collectif Contre Les Abus Policiers (C.L.A.P) s’est remué les méninges pour proposer aux bordelais-e-s une semaine autour des questions de la répression et des violences policières. Si l’hommage annuel aux victimes s’est bien passé, avec son lot de RG pour surveiller nos pancartes, si la formation sur la garde à vue et les concerts ont attiré du monde, les soirées sur la répression des militant-e-s et la société de contrôle ont été faibles en participation. Bordeaux, belle endormie, fête le printemps en terrasse et se soucie peu des pépiements que font nos rages dans ces rues si propres. Comment communiquer et atteindre quand nous n’avons ni les moyens ni l’envergure ? Dans ces grands espaces sous surveillance, nous poursuivons la tâche dans un silence parfois assourdissant. Pendant ce temps, les médias de masse bombardent, et nous restons sans voix… www.clap33.over-blog.com

Un homme de 28 ans
interpellé par la police, soupçonné d’avoir fracturé une fenêtre de voiture, a sauté dans le Canal de l’Ourcq à Bondy. Il en est mort.

Un homme de 35 ans
est entre la vie et la mort à la suite d’une chute dans les locaux de la gendarmerie de Lyon alors qu’il était en gare à vue et en présence d’un gendarme.

Ça bouge dans les facs
Forum Interfac Censier-Tolbiac à Paris, le 12 et 13 mars :Tsiganes et nomades, violences carcérales, violences policières. Avec Block Party - Do The Red Thing, débats et projets de mobilisations. Repas-débat sur Paris 7 le 5 mars sur les violences policières. De vrais succès… quand la jeunesse s’y met…

« Non à la répression sociale », « Vive la rébellion »
Le 11 Mars à Paris, deux personnes arrêtées en novembre alors qu’elles collaient une affiche appelant à une manifestation issue de l’assemblée parisienne constituée à la suite de la mort de Rémi Fraisse pour lutter contre les violences policières, ont été condamnées à des amendes de 2000 et 3000 euros pour « provocation directe à la rébellion par voie d’apposition d’affiche ».
Le 17 mars à Rodez, c’est au tour de Victor, intermittent ayant participé à une manifestation lors de l’inauguration du musée Soulages en la présence de Hollande et de Filipetti en mai 2014, d’être reconnu coupable de violence contre deux CRS alors qu’aucune preuve n’a été produite et que de nombreux témoignages l’innocentaient, il devra payer plus de 2000 euros.
Enfin le 1er avril à Toulouse, le verdict du procès en appel d’un jeune militant renforce sa condamnation tombée en décembre dernier en la faisant passer à 6 mois de prison, dont 2 ferme et 1100 euros d’amende. On lui reproche d’avoir participé à une manifestation faisant suite à l’assassinat de Rémi Fraisse et d’avoir violenté deux flics (cette 2e accusation avait été jugée sans fond lors du premier procès).

De la construction policière du « délinquant »
Le 17 mars, quartier du Bel-Air à Saint-Germain-en-Laye (78), un jeune homme de 20 ans, garé en double file, discute avec des amis. Une patrouille de police s’arrête et décide de contrôler tout le monde : ça dégénère. Cinq personnes finiront en garde à vue, avec un procès pour « violences » et « rébellion » à la clé. Les flics diront avoir répondu à des coups. Mais les brutalités policières ont été filmées et médiatisées. « Ce sont des choses fréquentes, mais rarement filmées. Sans cette vidéo, mes clients, qui ne sont absolument pas des fauteurs de trouble, seraient en prison » développe l’avocat des jeunes interpellés. Le jeune conducteur explique, « il y avait plein d’enfants près de nous, ils se distribuaient des bonbons, bougeaient autour des policiers », « une policière leur a alors lancé qu’ils étaient mal dressés ». Le ton monte, les flics sortent flash-ball et menottes, violentent les récalcitrants… http://www.dailymotion.com/video/x2jzp0r

Alaa libéré !
Alaa Belkhir, élève sans-papiers en terminale au lycée Tournelle à la Garenne-Colombes a été arrêté au cours d’un contrôle d’identité, placé en rétention pendant près de 3 semaines, et était sur le point d’être expulsé (tous les recours avaient été rejetés). Sa place dans l’avion était même réservée. Heureusement, une large mobilisation dans le 92 et même au-delà a fait qu’il a été relâché le matin même du jour où il devait être expulsé. Tout n’est pas gagné ceci dit, car il reste encore à obtenir sa régularisation…

Mineurs isolés étrangers à la rue
Partout en France, des mineurs isolés étrangers se battent pour obtenir une prise en charge qui leur est due en tant que mineurs. L’administration utilise des tests dits osseux, notoirement peu fiables, et qui permettent donc des jugements arbitraires pour les débouter de ce droit. À Lyon, en plus de rejeter les MIE à la rue, on va même jusqu’à les poursuivre en justice pour « faux et usage de faux »… Ces pratiques barbares doivent cesser, les mineurs doivent être protégés et non poursuivis !

Le flashball en procès
Le 2 avril, le tribunal de Bobigny a condamné le policier Césaire qui a blessé gravement au visage Geoffrey (six interventions chirurgicales pour sauver son œil, multiples fractures… voir RE 139) : 1an de sursis, 12 mois d’interdiction de travailler dans la police et 2 ans d’interdiction de port d’arme pour ce policier qui en plus avait établi un rapport mensonger afin de se dédouaner.
C’est la troisième condamnation pour tir de flashball, après celle des Mureaux en 2005 et celle intervenue le 20 mars dernier, qui a vu un adjudant de gendarmerie de Mayotte condamné à 2 ans avec sursis (il encourait 15 ans ferme de réclusion criminelle). Lors de révoltes populaires en 2011 contre la vie chère à Mayotte, un enfant de 8 ans, Nassur, a perdu un œil suite au tir de flashball du gendarme. L’enfant explique être allé se baigner avec des copains et avoir eu peur en voyant les gendarmes arriver. « Oui, en métropole ce tir n’aurait pas eu lieu, mais il faut prendre en compte les particularités de Mayotte », a affirmé le policier.

Procès contre des policiers
Mickaël, 29 ans, a été violenté en 2010 par un policier qui voulait calmer un groupe de personnes alcoolisées. Mickaël est aujourd’hui hémiplégique à vie. Le policier a été condamné à 5 ans, dont 3 ferme. Plutôt rare pour être remarqué.
Le 1er avril 2014, Morad Toat, 16 ans, tente d’échapper à une intervention policière cité Fontvert, à Marseille. Poursuivi jusqu’au balcon, il tombe et décède 4 jours plus tard. Pourquoi Morad ne s’est pas laissé interpellé ? Un témoin raconte : « Il y a un mois, deux flics sont venus dans le bloc, ils sont venus pour frapper. (...) ils viennent pour gazer tout le monde, (…) pourtant il y a des enfants, et même des asthmatiques. (...) Il faut savoir que trois jours avant le décès de Morad, deux flics ont débarqué. Morad jouait sur son IPAD, ils l’ont coursé, pris sa tablette, sa sacoche avec ses affaires personnelles et même les clés de son scooter ! ». Le 10 juillet 2014, la police des polices enquête sur ses collègues, sur la base de quoi le Procureur de la République de Marseille décide de clore le dossier pour « absence d’infraction ». En février déjà, des policiers marseillais poursuivis pour violences lors d’une interpellation, vidéo montrant ces violences à l’appui, avaient été relaxés.



> [A G I R ]


Dans le cadre de la 5e Rencontre nationale des Luttes des Immigrations, 18 et 19 avril à Saint Étienne, une table ronde aura lieu sur les violences policières. Info : fuiqp@riseup.net