Qui nasse qui ?

bulletin numéro 154 - juillet - août 2016


20 juillet 2016


Qui nasse qui ?

RESISTONS ENSEMBLE / bulletin numéro 154 / juillet/août 2016


Qui nasse qui ?

Il y a un nasseur et des nassés. Le pêcheur pose son filet et un banc de poissons se retrouve piégé. La police utilise cette même technique pour isoler, gazer, matraquer, interpeler les plus récalcitrants des manifestants. Au printemps, avec l’ampleur prise par les manifestations officielles ou « sauvages », les occupations, les blocages, les « devant de cortège » sont devenus de plus en plus massifs et combatifs. Fait unique, la police a même nassé la Bourse du travail de Paris, provocation visant à pousser les syndicats à se démarquer, encore davantage, des « mauvais manifestants ». Désormais, les luttes indépendantes se multiplient, il faut par exemple ajouter aux manifestants contre la loi travail, les 25 000 mobilisés le 9 juillet pour défendre la ZAD de Notre-Dames-des-Landes. Au fil des mois, la frontière entre les « nassés » et « non-nassés » est devenue de plus en plus floue et perméable comme lors de la manifestation parisienne du 23 juin autour du bassin de l’Arsenal à Bastille.
Les « devant de cortège », incluant toutes sortes de luttes indépendantes et radicales sont devenus la seule vraie force politique. Du « tout le monde déteste la police » on est passé à « tout le monde déteste le PS » puis à « tout le monde déteste le monde de la loi travail ». Et c’est ce « tout le monde » que l’Etat et sa police entendent maintenant « nasser ». Sauf que ce mouvement exerce une sorte de « contre-nassage ».
C’est pour cette raison que les possédants et leurs larbins ont la trouille. Le PS dégaine, une fois de plus, le 49-3, il n’ose même pas tenir son université d’été, les « Républicains » n’osent même pas poser une motion de censure, effrayés par le risque de son éventuel succès qui entraînerait la chute du gouvernement, les « frondeurs » du PS chuchotent, quant à Mélenchon, il calomnie les « devant de cortège », en les traitant de « casseurs ». Selon lui ils seraient « au service de nos adversaires ». Et il prétend parler au nom des « insoumis » ! Le glissement vers une dictature ouvertement policière inquiète même les forces démocratiques, exemple : les avocats de Paris déclarent qu’ « Il n’est plus possible de justifier l’état d’urgence ».
Comme dans les années 30 en Allemagne, malheureusement, seule la voix du FN se distingue. Philippot, se déclare contre l’interdiction des manifestations au nom des libertés (sic !), il est contre la loi travail qui engage l’avenir de plusieurs générations et appelle ses adhérents à manifester, s’autoproclamant plus grand parti ouvrier de France, il fustige les grands monopoles tout en exigeant, bien entendu, l’écrasement des « casseurs ». C’est hypocrite, mensonger, faux cul bien sûr, il n’empêche que le FN veut « nasser » les plus pauvres. C’est du « national-socialisme » pur beurre pur sucre. Mais qui ouvre ce boulevard au FN ? Cette classe politique pourrie, corrompue et froussarde.
C’est grave, docteur ? Bien sûr, sauf que la situation est inédite. Les « nasseurs » et les institutions « démocratiques » se décomposent : ce processus de « contre-nassage », tentaculaire, pas organisé, pas contrôlable mais bien vivant les menace. Alors, entre « nasseurs » et « nassés »… ce n’est pas fini.



Dernière minute

L’état d’urgence en vigueur depuis novembre denier n’a pas permis d’éviter les horreurs de Nice mais a par contre largement servi à réprimer durement le mouvement social depuis plus de 3 mois. Toujours au nom de la « lutte anti terroriste », le pouvoir le prolonge, une nouvelle fois, et d’autres projets sont dans les cartons et les esprits : camps de détention administrative (sans jugement sur simple fichage), autorisation donnée à l’armée de tirer… Les attentats ont toujours bon dos pour construire une « unité nationale ». Non à la campagne raciste, islamophobe, liberticide et guerrière qu’ils nous mijotent. Ne soyons pas dupes.



Répression du mouvement contre la loi travail

Au mois de juin, le mouvement a battu son plein. Selon le collectif Street Medic, 538 blessés, dont 56 % ont dû être évacués. Du côté des flics : 70 % de luxations de l’épaule vraisemblablement dues à des jets de grenades intempestifs...

Et la répression se durcit
Le 7 juin, alors qu’une centaine de personnes investit les locaux du MEDEF, Loïc, intermittent et membre de Nuit Debout, a été, devant témoins, agressé par le responsable de la sécurité du MEDEF, qui se réfugie dans son bureau pour appeler les flics ! Accusé de « violences en réunion ; mis en GAV et libéré le lendemain, son procès se tiendra à l’automne.
Manif nationale du 14 juin, 130 arrêtés d’interdiction de manifester, les personnes visées sont toujours aussi diverses mais Defcol remarque qu’elles ont été pour la plupart interpellées et/ou blessées lors de précédentes manifs : il s’agit de donner des arguments aux juges pour, contrairement au 17 mai (voir RE 153), refuser les recours qui seraient déposés. Les flics, très nombreux, fouillent aux abords de la manif mais parfois bien au delà. Le cortège de tête est massif (plus de 10 000), déterminé et solidaire ; il se fait constamment gazer et charger, un canon à eau est introduit en son sein. Les médias ne parleront que des vitres brisées de l’hôpital Necker. Les témoignages des manifestants expliquent qu’en effet c’est là que les flics ont choisi de nasser une partie des manifestants. Pour les médias et les politiques, c’est l’occasion de criminaliser les opposants à la loi travail et amène Valls à se prononcer en pleine assemblée nationale pour l’interdiction de toute manif pendant la période de l’Euro.
La manif du 23 juin d’abord menacée d’être interdite, a bien eu lieu mais sous la forme d’une mini boucle autour du bassin de l’arsenal à Bastille. Tout le quartier est en état de siège : les accès aux boulevards barrés par des cages, des milliers de flics fouillent systématiquement à toutes les entrées sur la place et toutes les sorties de métro ouvertes. Les masques, lunettes de protection, les K-way noirs, le serum phy sont saisis et cela a souvent donné lieu à un nouveau type d’arrestations préventives (une centaine répertoriée par Defcol), par exemple : postiers, enseignants, travailleurs sociaux, réunis en AG de grévistes le matin se rendant ensemble à la manif, ont refusé d’être fouillés trois fois de suite, ils ont été violentés et gazés ; 10 d’entre eux sont emmenés et empêchés de manifester de fait. Adil, de SUD Poste 92, a été placé en garde à vue pendant près de 48h, accusé de violences, son procès aura lieu prochainement.
Même scénario ultra répressif lors des manifs du 28 juin et du 5 juillet avec quelques nouveautés remarquables : des perquisitions et arrestations à l’aube au domicile de certains militants et l’encagement inédit de centaines de personnes qui participaient à une AG interpro à la Bourse de travail de République avant de se rendre à la manif ont été nassées devant l’entrée de la Bourse et empêchées de sortir durant 18h !

La répression judiciaire suit également sont cours.
À Nantes, 11 personnes soutenues par l’assemblée des blessés ont déposé une plainte pour violences qui sera portée collectivement. À Marseille, un professeur de musique de 46 ans, père de 2 enfants a été condamné à 8 mois ferme pour avoir fait le geste de « simuler un tir » face aux CRS qui avaient mis en joue la foule avec leurs flash balls. À Lille, le procès « politique » d’Antoine, militant CGT (voir RE 153), a duré 9 h et a abouti à 10 mois avec sursis et une interdiction de manifester de 2 ans. À Paris, Kara artiste américaine trans arrêtée le 26 mai dans le cadre de l’enquête sur l’incendie d’une voiture de police le 18 mai et accusée de « tentative d’homicide volontaire sur un agent de police » est toujours détenue dans une prison pour hommes (pour lui écrire : Association Acceptess T 39 bis boulevard Barbès 75018 Paris, ajoutez un post it « Pour Kara »)

« Et si tout le monde détestait la justice ? »
Fin juin la Legal Team de Nantes tentait un état des lieux de la répression judiciaire du mouvement contre la loi travail : 332 interpellations, plus de 50 personnes passées en procès, la plupart en comparution immédiate, dont 45 condamnations. Quant à la méthode judiciaire : les dossiers sont presque tous montés sur le même modèle : un PV d’ambiance » de la manif écrit par un chef des flics, un PV d’interpellation écrit par un flic, des PV d’audition des flics qui se disent « victimes », des auditions des témoins (la plupart du temps des flics) et l’audition de la personne accusée (menée par les flics). Enfin, 2 ou 3 photos d’ambiance en guise de preuve, de l’accusé·e avec ses fringues, de projectile, peu importe lequel, de tags ou de poubelle en flamme… et c’est plié ! À lire sur https://nantes.indymedia.org/articles/35172
Dans un texte l’Envolée développe : « De même que nous avons été beaucoup à crier  «  tout le monde déteste la police , il nous faudra aussi crier  « Tout le monde déteste la justice.  […] Porter un tel mot d’ordre serait un premier pas pour gripper la machine judiciaire qui, au delà du mouvement, enferme tous les jours depuis des dizaines d’années  les enfants de colonisés, les étrangers des quatre coins du monde arrivés ici et les pauvres des quartiers de France […] Si le mouvement se bat contre une «  loi El Khomri  qui accentue un peu plus l’exploitation et la chasse aux pauvres, alors il doit se battre aussi contre la justice qui sert à enfermer d’abord et surtout celles et ceux qui subissent de plein fouet la violence économique. »
À lire ici : https://lenvolee.net/et-si-tout-le-monde-detestait-la-justice/



> [ S u r l e v i f ]

Coup de pression policier
Mardi 28 juin au petit matin, cinq personnes ont été arrêtées à leur domicile et placées en garde-à-vue (30 heures). Lors des auditions, les questions portaient sur la participation à diverses manifestations à Paris entre le 22/11/2015 et le 01/06/2016 principalement contre la loi Travail… « Ces histoires ne doivent pas rester “en coulisse” mais être partagées collectivement, pour ne pas rester isolé-es face à la répression et parce que nous sommes tou-tes concerné-es. À suivre donc mais dans tous les cas ce petit coup de pression ne doit pas nous intimider. Face à l’État et au capitalisme, on continue la lutte ! »



> [ A g i r ]

Contre la répression…
un nouveau site en préparation et un appel pour « constituer un fond d’information et de documentation sur les violences policières et la répression subie par le mouvement contre la loi travail et son monde tout au long de ces derniers mois… » : http://antirep.temporaires.net/
Pour la défense du droit de grève et de manifester, l’arrêt des poursuites, un soutien financier pour faire face à la répression, un appel est à signer. Contact : stoprepression [at] riseup.net.



> [ C h r o n i q u e d e l ’ a r b i t r a i r e ]

L’Attiéké
Bâtiment occupé depuis octobre 2013, au 31 bld M. Sembat à St-Denis (93), à la fois lieu d’habitation pour 40 personnes et centre social auto-organisé, opposé à la rénovation urbaine par le haut sur le dos des plus pauvres. Le 7/07 le collectif a obtenu un nouveau report du procès au 24/10 (une centaine de personnes était présente). Il revendique la réquisition de l’Attiéké ou d’un bâtiment équivalent par la mairie ou la préfecture, le relogement et la régularisation des habitant.e.s. Voir collectifattieke.wordpress.com.

Pour la fermeture des CRA, soutien aux réfugiés !
Vendredi 1er juillet, des retenus du CRA de Vincennes voient l’un des leurs emmené de force par les flics afin d’être renvoyé en Algérie. Par solidarité et pour s’opposer à cette expulsion soudaine, les retenus tapent sur les grilles, mettent le feu à des matelas. Deux des trois bâtiments sont touchés, l’un d’entre eux sera fermé. 5 personnes ont été arrêtées et mises en inculpation. C’est le 6e incendie de CRA pour l’année 2016 en France et Vincennes avait déjà été pris pour cible en 2008.
Les expulsions de camps de migrants se poursuivent également : des réfugiés se sont fait expulser dans le nord-est parisien, halle Pajol, par un escadron de flics. Evacués vers le métro, ils ont passé la journée à remonter des camps et à s’en faire chasser de nouveau.

Pour en finir avec la mise à mort de Kamel Bouabdallah et non aux longues peines...
Emprisonné pour la première fois à l’âge de 15 ans, les peines vont ensuite s’enchaîner pour Kamel car « la prison mène à la prison ». Il finira par commettre un braquage et frapper un policier. La vengeance d’Etat va le condamner froidement en première instance à une « peine d’élimination » de 25 ans. En appel, grâce à une forte mobilisation devant le Tribunal de Grenoble, sa peine sera de 15 ans. « Enfermement, élimination, justice cruelle… ils m’enterrent, doucement, à la truelle. »

On n’oublie pas !
Le 24 juin la cour d’appel de Rennes a confirmé la relaxe des deux flics dont l’intervention a provoqué, le 27/10/05, l’électrocution de Zyed et Bouna, morts sur le coup, et de leur copain Muhittin, très gravement blessé. Les familles ont décidé de se pourvoir en cassation.
On n’oublie pas non plus Lamine Dieng. Le samedi 18 juin, Paris 20e, une manifestation a eu lieu en mémoire du jeune homme mort étouffé par 8 policiers dans un fourgon sérigraphié le 17/06/07, alors que ses mains étaient menottées, ses pieds attachés avec une ceinture en cuir et qu’il était immobilisé face contre terre. 9 ans ont passé et la justice s’est enfoncée dans le déni, la famille poursuit le combat en Cour de cassation. À cette occasion 100 victimes de la police, de la fin des années 40 à aujourd’hui, ont été mises à l’honneur à travers une série de portraits. Puis après une prise de parole de la famille la manifestation s’est élancée dans les rues du quartier.