« La Mexicaine » à la française

bulletin numéro 198 – du 20 juillet 2021


20 juillet 2021


« La Mexicaine » à la française

RESISTONS ENSEMBLE - bulletin numéro 198 – du 20 juillet 2021


« La Mexicaine » à la française

« Une mexicaine » dans le jargon policier c’est quand des flics arrangent les faits à leur manière pour faire tomber quelqu’un ou protéger un des leurs, quitte à violer la loi. Une pratique difficile à constater, la plupart du temps : en cas de brutalités policières, c’est parole contre parole, et à ce petit jeu c’est toujours le représentant de l’Etat qui a le dessus. Alors, pour quelqu’un de « défavorablement connu des services de police » – expression vide de sens, symptomatique du travail de discrédit systématique de l’institution à l’encontre des victimes de violences policières – aucune chance. L’usage du délit d’outrage et rébellion en est un exemple flagrant. Plusieurs affaires récentes nous ont apporté un éclairage rare sur cette pratique.
Pour Adnane qui a perdu un œil suite à un tir de LBD, les enquêteurs sont allés jusqu’à espionner leur propre collègue… du jamais vu. Plus rare encore, les éléments de l’enquête ont filtré dans la presse, mettant crûment à jour les rouages de la mexicaine. (voir ci dessous).
Autre affaire. Dans le procès largement médiatisé de l’attaque de Viry-Châtillon aux Assises, la défense a mis a jour les manœuvres des OPJ dans la rédaction des PV d’interrogatoire, en demandant à les comparer aux enregistrements vidéo des gardes à vue. Tronqués, biaisés, ils avaient conduit à des condamnation. Un jeune homme a ainsi écopé de 18 ans de prison en 1ere instance avant d’être acquitté. Il a tout de même passé quatre ans en détention préventive. Des plaintes pour faux et usage de faux ont été déposées. Quand « la mexicaine » est trop pimentée, la justice ne suit pas… un désaveu qui suscitera une surenchère policière et politique criant au laxisme de la justice et réclamant une forme de condamnation automatique.
La police, un exemple de déontologie ? Censée représenter et donc respecter la loi ? Fallait il ces affaires pour s’apercevoir qu’entre la soupe idéalisée qu’on nous sert et la réalité il y a un monde ? Combien « La mexicaine » a-t-elle de petites sœurs cachées ? Combien de tués, de mutilés sans que les auteurs soient inquiétés ? Combien de fichiers de police en dehors des lois , de tirs de LDB en dehors du cadre réglementaire ?…
Des quartiers populaires maintenus en bas de l’échelle sociale, sauf lorsqu’il s’agit d’en faire un laboratoire du sécuritaire ou pour de la cosmétique électoraliste, une stigmatisation de l’immigré, du musulman : voilà comment les gouvernements successifs adoptant le prisme de l’extrême droite, nous servent une vision polarisée de la société. Le jeune des cités, le migrant, le manifestant, autant d’ennemis providentiels, moteurs des politiques sécuritaires, outils de division, pour déployer le paravent qui cachera la misère engendrée par leur politique. La police suit, s’engouffre dans l’équation « jeune des quartiers = danger à mater ». Il faut maintenir tranquilles ceux qui ont le plus de raison de se révolter, les premiers touchés par les inégalités sociales, le racisme… et là tout les moyens sont bons… L’existence des « mexicaines » n’a rien d’étonnant, elle ne sont au final qu’une expression logique d’un rapport de domination.


Dans les coulisses de la maison poulaga
Février 2020, à Brunoy (Essonne) dans le quartier des Hautes-Mardelles, Adnane, 19 ans, est atteint au visage par un tir de LBD de la BAC (voir RE 188). Il perdra l’usage de son œil : grave fracture du crane, à l’hôpital le pronostique vital est engagé. La police parle d’émeute, l’agent de la BAC, qui a déposé une plainte pour des violences le lendemain des faits, accuse le jeune homme de lui avoir jeté quelque chose. En réalité, Adnane qui discutait calmement avec des amis quelques instants auparavant, ne présentait aucune menace. Il faudra les images de la vidéo surveillance contredisant la version policière pour que le tireur assermenté soit mis en cause par la justice. L’enquête basée notamment sur des écoutes réalisées sur les téléphones et les applications de messagerie des policiers filtre dans la presse et révèle les coulisses d’ « une mexicaine » (voir édito). En suivant les conversations, on découvre comment les policiers s’accordent sur la version des faits, se conseillent en vu des auditions, interviennent pour modifier le dossier administratif (d’impulsif, l’agent de la BAC devient soucieux d’agir en toute sécurité et en respectant la déontologie nécessaire), œuvrent pour obtenir la levée du contrôle judiciaire, trouvent une parade pour que le policier puisse continuer de toucher son salaire, et ce dans toute la chaîne hiérarchique, en passant par le directeur départemental de la sécurité publique et jusqu’au directeur général de la police nationale.



On ne tire pas sur une ambulance ! Pas encore...

Ça s’est passé à Redon. Dans la nuit du 18-19 juillet. 1200 jeunes se sont retrouvés dans une free party pour danser à la mémoire de Steve, noyé dans la Loire en 2019 suite à une brutale intervention policière.
Oser danser dans un hippodrome abandonné sans permission c’était insupportable au pouvoir qui a lâché ses sbires, 400 gendarmes et CRS les ont bombardés avec des centaines de lacrymos, des tirs de LBD, et des armes de guerre, les grenades GN2L qui ont déjà valu à 5 gilets jaunes de perdre une main.
Mais, à Redon, la Macronie s’est encore enfoncée dans la barbarie : les gendarmes ont empêché, des heures durant, l’évacuation par les pompiers, pourtant stationnés tout près, d’un jeune de 22 ans la main arrachée, en état d’urgence vitale. Et tout ça était suivi des près et dirigé par le préfet et par le cabinet de Darmanin. Finalement ce sont des jeunes bénévoles qui ont réussi à exfiltrer leur camarade mutilé, ensanglanté et l’amener à l’hôpital.
Pour finir le sale boulot, une équipe de la GIPN s’est chargée de fracasser à coups de barre de fer toute la sono de ces « ennemis de l’intérieur » .
Très fréquemment, les soldats israéliens empêchent des ambulances de secourir des blessés palestiniens qui en meurent. Le dernier en date, le 22 juin dans le village de Beita Naplous en Cisjordanie occupée.
Le crime de Redon s’est déroulé dans un silence quasi général, une fois de plus le virus a le dos large. Morale de l’histoire : si Macron a les mains libres, il n’hésitera pas à nous infliger le traitement réservé aux Palestiniens.



> C H R O N I Q U E D E L ’ A R B I T R A I R E

L’expression d’un certain désaveu due à une inquiétude ?
Des informations d’habitude confidentielles filtrent dans le presse, des décisions de justice surgissent à contre courant… Si ça s’est toujours vu, l’ampleur ou l’intensité du phénomène peut interroger. Serait-ce l’expression d’un désaccord idéologique, d’une tendance inquiète face à la fascisation de la société ?
La nasse
Le 10 juin, la plus haute juridiction de l’ordre administratif, le Conseil d’État a annulé plusieurs dispositions phares du schéma national du maintien de l’ordre, dont l’emploi de la technique de « la nasse », l’obligation faite aux journalistes de quitter les lieux lors de la dispersion des manifestations, les accréditations demandées aux journalistes « pour accéder aux informations en temps réel », ou encore les conditions de port d’équipements de protection. Un camouflet pour le gouvernement.
La course-poursuite
Une chasse à l’homme qui se termine dans le drame, un scénario combien de fois répété. A Paris et dans sa petite couronne c’est le préfet de police Didier Lallement qui a opéré un tournant radical en juillet 2020 en promouvant cette pratique policière. Les organisations syndicales de policiers jubilent. A contrario dans la grande couronne, le 2 juin, après qu’un conducteur de T-Max se retrouve entre la vie et la mort, la commissaire chef de la circonscription de Sarcelles (Val d’Oise), rappelait dans une note de service aux policiers de ne plus prendre en chasse les motards ou automobilistes qui refuseraient d’obtempérer lors d’un contrôle sauf en cas de délit de fuite commis par « l’auteur d’un crime de sang flagrant ». Enquêter « plutôt que de mettre inutilement en danger la vie de la population, des policiers et des délinquants », un tout autre discours qui n’a pas manqué d’irriter les syndicats policiers.
Le contrôle au Faciès
Gare du nord, trois jeunes pas tout à fait majeurs, enfants de l’immigration, contrôlés parce que basanés qui décident de porter l’affaire devant les tribunaux… Contrôles au faciès, la pratique est tellement rodée que le premier jugement tout en hypocrisie n’a rien d’étonnant tant on nous l’a déjà rabâché : ces contrôles ont eu lieu « dans un objectif légitime de maintien de l’ordre, sans discrimination fondée sur l’origine ». Mais lors de l’appel, revirement de situation, le tribunal reconnaît la discrimination « les caractéristiques physiques des personnes contrôlées, notamment leur origine, leur âge et leur sexe, ont été la cause réelle du contrôle » et condamne l’Etat à verser entre 1 500 et 2 000 € à chaque plaignant pour « réparation du préjudice moral », égratignant au passage la préfecture pour son immobilisme lors de l’enquête.

Bagui, frère d’Adama, acquitté après avoir passé près de 5 ans derrière les barreaux !
Vendredi 9 juillet ont pris fin les 3 semaines aux Assises du Tribunal du Val d’Oise ; Bagui ,frère d’Adama Traoré mort le 19 juillet 2016 sur le sol de la gendarmerie de Persan, son ex-compagne Sarah et un autre jeune homme, Cédric, ont été acquittés. Les deux hommes étaient accusés de tentative de meurtre en bande organisée car considérés comme auteurs de tirs au fusil ou à la carabine sur les forces de l’ordre, à Beaumont-sur-Oise, lors des nuits d’émeutes qui avaient suivi la mort d’Adama ( voir RE 155). Contrairement, aux deux autres accusés, amis d’Adama, qui ont reconnu avoir tiré, Bagui a toujours clamé son innocence, rien dans le dossier n’a jamais établi qu’il aurait pu participer aux émeutes, cela lui était même impossible le premier soir, alors que des tirs avaient retenti, puisqu’il était en GAV à Pontoise et en est sorti, hagard à minuit et demi, les gendarmes venant de lui apprendre que son frère était mort. Pourtant, depuis le 2 mars 2017 (voir RE 161), il croupit en prison, ayant été présenté comme « l’instigateur des émeutes », il a été maintenu en détention provisoire pendant près de 5 ans, sous haute surveillance, empêché de bénéficier du moindre aménagement de peine. Pour cette fois, la justice n’aura donc pas suivi les injonctions de l’avocate des flics qui, après avoir fait témoigner 90 gendarmes et policiers sur leur « traumatisme » (en l’absence de blessures autres que légères), a mis en avant leur frustration de n’avoir pas reçu l’ordre de tirer et a demandé aux jurés et à la Cour d’enfin répondre à leur besoin de vengeance (« la riposte c’est vous ! »). Alors s’il faut se réjouir de cet acquittement c’est qu’il met fin au cauchemar d’un homme mais aussi qu’il donne à nouveau raison au collectif Adama Traoré dans sa quête acharnée pour la vérité et la justice. Comme chaque année, celui-ci a organisé une conférence de presse (12h30 devant la mairie ), une marche (14h) et un festival Adama le 17 juillet au départ de la gare de Persan Beaumont (ligne H au départ de gare du nord direction Beauvais).

Mort à 34 ans suite à un tri de taser
Le 23 juin à 8h, à Pierrelay dans le Val d’Oise, un huissier accompagné de policiers se rendent au domicile d’un homme pour l’expulser de son logement. Ils enfoncent la porte, l’homme se serait alors levé de son canapé et aurait saisi un couteau. Un premier flic lui tire dessus avec son arme mais le rate, un second l’atteint au thorax d’un coup de taser. Il meurt 3 heures plus tard : « c’est une chose rare mais cela arrive, l’individu était peut-être fragile » expliquent les flics. Et ils osent encore appeler cela une arme « non létale »...

Halte à la dématérialisation de nos vies par la numérisation de la violence !
Fin juin - début juillet, les professeurs correcteurs des épreuves du bac ont découvert qu’ils devraient corriger des copies dématérialisées sur le logiciel Santorin. Conséquence ? une dégradation de la qualité de la correction et des conditions de travail (exposition constante aux écrans, copies envoyées « au fil de l’eau » en nombre indéterminé rendant impossible de maîtriser son temps de travail, surveillance en ligne des correcteurs, impossibilité d’avoir la main sur la note finale...) à quoi s’est ajoutée une impossibilité de s’organiser pour refuser collectivement ce sort (d’autant que toutes les réunions en « présentiel » ont été annulées sous le prétexte devenu habituel des conditions sanitaires). Blanquer a trouvé là un instrument à la mesure du cynisme et de la violence de sa politique éducative.
En réalité, c’est la dématérialisation de l’intégralité des démarches administratives qui est en marche et déjà prévue pour 2022 ! Là encore l’instrumentalisation macroniste de l’épidémie de Covid a joué comme un formidable accélérateur de la catastrophe : après des centaines de milliers d’étrangers (d’après la Cimade qui lance l’alerte au cri de « Rendez-nous nos rendez-vous ! ») empêchés de demander ou renouveler leurs titres de séjours, ce seront tous ceux (des millions de personnes !) qui ne possèdent pas un « parc électronique de base » (ordinateur, smartphone, imprimante, scaneur, abonnement internet) ni de moyens culturels pour l’utiliser efficacement qui se retrouveront exclus du système et privés de l’exercice de leurs droits les plus basiques. Sans parler du personnel qui jusque là faisant l’interface, devenu inutile, il sera placé en télé-travail ou tout simplement licencié. C’est notre complète déshumanisation qui est annoncée : comment arrêter ça ?

Steve Maia Caniço, on n’oublie pas !
Deux ans après sa mort, le parquet de Rennes désavoue l’IGPN en reconnaissant que Steve est bien tombé dans la Loire au moment de l’intervention policière.